Au Crédac, un accrochage fin et sensible aborde la constitution des formes et la question de la mémoire à travers la réminiscence et l’accumulation.
IVRY-SUR-SEINE - Qu’ont en commun des photographies de Raphaël Zarka figurant des pierres marquées par le temps, lesquelles manifestement ont eu un usage ancien (Changer en île #1, #2, #3, 2004), et une surface monochrome faite de cendres de Claudio Parmiggiani (Sans titre, 2008) ? Elles en appellent à la quête ou au souvenir des origines, ainsi qu’à leur appréciation contemporaine. Qu’est-ce qui rapproche l’empreinte d’un fossile sur une plaque de polystyrène par Gyan Panchal (Animal, 2006), des silex d’Hubert Duprat simulant des profils d’animaux, alliant la taille et le polissage de la pierre (Les Bêtes, 1992-1999) ? Ils s’inquiètent de l’indice, de la trace, de l’évanescence et de la permanence.
Dans un accrochage tout en finesse qui procède par touches et allusions plutôt qu’à l’aide des formules péremptoires, Claire Le Restif, directrice du Crédac, à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), interroge le contemporain des formes à travers leur persistance et leur transposition, avec des œuvres souvent ouvertes à des lectures multiples.
Très liée au temps, la question fait appel à la mémoire, comme dans ces images de Gabriel Orozco ou de Geert Goiris, figurant pour le premier un cimetière africain jonché de poteries (Cemetery #1, 2002), pour le deuxième un rhinocéros – animal préhistorique – couché sur une prairie à perte de vue (Rhino in Fog, 2003). Et évoque en même temps la persistance et le recommencement, avec cette œuvre de Mona Hatoum où une lame en métal, opposant un côté cranté à son versant lisse, tourne à l’infini sur du sable en redessinant sans cesse les motifs que sa moitié s’ingénie à effacer ( and -, 1994).
Assez logiquement, « Le travail de rivière » s’intéresse au primitif et à l’empilement des strates temporelles qu’il induit. Frappante est à cet égard une vidéo de Julien Prévieux et Virginie Yassef, où les deux artistes réduisent une branche d’arbre en lui ôtant de la matière avec leurs seules bouches (L’Arbre, 2008).
Paysage de bijoux
Quand elle aborde l’usage et la pratique des objets ou des lieux, la problématique interroge l’émergence et le façonnage de la forme à l’aune d’un équilibre qui souvent s’établit entre permanence et invention. Guillaume Leblon élabore ainsi un cocon en alliage de métaux afin d’enfouir des objets du commun (Chrysocale I (Set d’habits), 2005), tandis qu’Isabelle Cornaro recompose des paysages avec quelques bijoux posés sur du contreplaqué (Savane autour de Bangui, et le fleuve Utubangui, 2007).
Ouverte à des artistes issus de diverses générations – Robert Morris, Jana Sterbak, Katinka Bock, Helen Mirra ou Éric Poitevin… –, voire disparus tels Man Ray, Absalon ou Gina Pane, l’exposition a ceci de touchant que les pistes offertes suggèrent, plus qu’elles ne nomment ou ne désignent, un rapport au quotidien.
Toutefois, l’accrochage souffre de ce qui semble être devenu une tendance, irritante et regrettable, qu’il convient une nouvelle fois de condamner : l’absence de cartels. Au motif le plus souvent avancé qu’il entraverait la lecture et l’autonomie des œuvres en constituant une sorte de pollution visuelle, le cartel, dans nombre d’expositions d’art contemporain, se voit sacrifié sur l’autel d’une prétendue liberté du regard. Certes, des « documents d’accompagnement », comme c’est le cas ici, sont le plus souvent distribués en vue de délivrer informations d’usage et commentaires complémentaires éventuels. Loin de simplifier la visite, ces erzats informatifs la complexifient le plus souvent, obligeant le visiteur à retrouver ce qu’il cherche, qui sur un plan, qui grâce à une image au format timbre-poste…
Outre la perte de temps qu’elle occasionne, cette approche est pernicieuse car elle contraint le regard. En l’orientant très fermement, elle lui enjoint le plus souvent de suivre le sens de lecture proposé sur le papier s’il veut avoir une chance de s’y retrouver. On a connu meilleure forme de liberté dans la découverte !
LE TRAVAIL DE RIVIÈRE, jusqu’au 29 mars, Le Crédac, Centre d’art contemporain d’Ivry, 93, av. Georges-Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine, tél. 01 49 60 25 06, www.credac.fr, tlj sauf lundi 14h-18h, samedi-dimanche 14h-19h. Catalogue à paraître.
LE TRAVAIL DE RIVIÈRE
Commissaire : Claire Le Restif, directrice du Crédac
Nombre d’artistes : 48
Nombre d’œuvres : 69
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Sédimentation de la mémoire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°297 du 20 février 2009, avec le titre suivant : Sédimentation de la mémoire