À l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, Joachim Koester revisite quelques maisons « hantées » et se passionne pour des formes d’occultisme.
VILLEURBANNE - « Alors que je remontais le sentier à peine visible menant à ce qui avait été l’entrée principale, je me sentis si ému par ces lieux plongés dans le sommeil que je dus marquer une pause. On eût dit que des sédiments, des bribes de récits abandonnés et les idées des personnes qui étaient passées jadis en ce lieu formaient maintenant des nœuds, aussi étroitement enlacés que les buissons et les arbres qui avaient pris leur place, créant une sensation de présence endormie. » Ainsi Joachim Koester, né en 1962 à Copenhague (Danemark), relate-t-il sa visite de l’abbaye de Thélème, à Cefalù en Sicile, qui hébergea dans les années 1920 la communauté fondée par Aleister Crowley, un sulfureux occultiste britannique. La villa, redécouverte en 1955 par Kenneth Anger, servit de décor au cinéaste expérimental américain, chantre de la contre-culture.
L’artiste, qui fait l’objet d’une ample monographie à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, n’est jamais aussi bon et déstabilisant que dans ces retours et déambulations sur le « lieu du crime », dont il rapporte force preuves photographiques. Ses pérégrinations l’ont conduit en 2003 en Transylvanie, sur les traces du narrateur du roman Dracula, ou en 2008, jusqu’au « Barker Ranch », en Californie, où s’étaient réfugiés dans les années 1960 les Manson, une famille de criminels : un site tenant historiquement comme cinématographiquement du western.
Ces endroits, inscrits dans l’imaginaire collectif, Koester les a photographiés en se référant au style documentaire défini par Walker Evans, à la photographie « objective » allemande apparue dans les années 1970, dans la lignée de Bernd et Hilla Becher : cadrage frontal et centré sur le sujet, lumière neutre…
Mais si cette tradition se défie de toute approche empathique, l’artiste, lui, ne se prive pas d’exploiter, ses propres textes à l’appui, la dimension fantasmatique d’un lieu et son écart d’avec sa représentation actuelle – ou réelle. Les inquiétantes forêts du comte Dracula sont aujourd’hui des paysages soumis à une déforestation sauvage quand ils ne sont pas laissés en déshérence ; en témoignent des vues d’habitations abandonnées et de routes inachevées. S’attachant plus spécifiquement à l’histoire de la photographie, Koester confronte, dans sa série « Histoires » (2009), la reproduction livresque d’une photo d’Ed Ruscha ou de Robert Adams à une prise de vue récente du même site ; les six dyptiques étant accompagnés d’un commentaire qui restitue petite et grande histoire.
« No man’s time »
Plus troublante, la série des « Promenades de Kant » (2005), dans la cité prusse de Königsberg devenue « Kaliningrad » lors de son rattachement à la Russie, s’attarde dans une zone industrielle désertée, ou sur un pauvre petit château fort semblant fait de carton-pâte. L’ensemble évoque un « no man’s time » plus encore qu’un « no man’s land », et le contraste entre l’imaginaire construit autour des promenades quotidiennes de Kant et ces visions d’un paysage en pièces donne le vertige.
Mais si Koester s’est intéressé à la figure du philosophe allemand, c’est par l’entremise de son biographe, Thomas de Quincey, rapporteur des cauchemars, insomnies et autres dérèglements dont souffrait Kant à la fin de sa vie et qui lui rappellent les siens propres, liés à la prise d’opium. C’est ici que l’on rejoint le second plan des préoccupations de l’artiste, les états altérés de la conscience. Photographies « botaniques » (la plante de cannabis), archéologiques (ruines d’une forteresse au Liban occupée au XIe siècle par la secte des « Hashashins »), ou projections hypnagogiques et iconographie démonique ponctuent d’espaces plus « obscurs », dans tous les sens du terme, un parcours pensé tel un labyrinthe.
Lassante quand l’artiste empile indéfiniment ses sources, de Lovecraft à Burroughs et de Rabelais à Godard, son œuvre recouvre son pouvoir étrange et envoûtant lorsqu’il filme, de manière distanciée toujours, les acteurs qui se réapproprient par le corps le mythe de la tarentule (1) ou une gestuelle chamanique. Lorsqu’il filme encore les doigts de mains mimant chacune des 122 figures géométriques des Incomplete Open Cube (1974) de Sol LeWitt.
(1) un rituel d’exorcisme combinant cultes helléniques et tradition catholique.
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« In Search of Spirit »
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Jusqu’au 19 février, Institut d’art contemporain, 11, rue du Docteur-Dolard, 69100 Villeurbanne, tél. 04 78 03 47 00, www.i-ac.eu, du mercredi au dimanche 13h-19h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°360 du 6 janvier 2012, avec le titre suivant : « In Search of Spirit »