Effort collectif

Science-Sociale-Fiction

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 2 avril 2004 - 888 mots

Sous le titre de « Tour-détours de Babel », le Musée d’art moderne et contemporain de Genèvepropose un accrochage éclectique mais nourri par des problématiques communes.

 GENÈVE - Regroupées sous le titre de « Tour-détours de Babel », les nouvelles expositions du Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) de Genève empruntent à la construction biblique un certain éclectisme. Outre une large présentation des photographies de Thomas Ruff – grâce à un prêt de la collection du galeriste Pierre Huber (Art & Public, Genève) –, le nouvel accrochage fait la part belle aux peintures de machine de Konrad Klapheck – un des derniers surréalistes historiques actifs – et aux héliogravures de Balthasard Burkhard. Autre participant, Frédéric Roux cultive la mythologie du seul contre tous. L’écrivain et ancien boxeur profite de la mini-rétrospective qui lui est consacrée dans deux salles pour continuer à taper sur tout ce qui bouge, ou bougeait. Pour ceux qui en douteraient, un punching-ball orné de noms d’institutionnels et de critiques est suspendu au milieu d’un ensemble de reliques du collectif Présence Panchounette, auquel Frédéric Roux appartenait dans les années 1980. Entre plaisanterie sur les anciens maoïstes rentrés dans le Whos’who et blagues sur le petit Grégory, la nostalgie est assurée. Olivier Blanckart est lui aussi connu pour sa verve pamphlétaire à l’encontre du milieu de l’art. Depuis quelques années, il en parasite l’histoire par le biais de portraits où il se grime en Jean-Paul Sartre ou en Diego Rivera (exposé au Centre de la photographie de Genève). Mais Blanckart n’emprunte pas tant les traits des grands hommes que leurs attributs iconographiques. Il ne se déguise pas en Guy Debord, il aspire son image. Au Mamco, l’artiste propose quatre installations nourries par la nature préfabriquée des représentations médiatiques, des images qui semblent étrangement calquées sur des modèles puisés dans la peinture classique ou le cinéma. Ce bricolage avec le réel est amplement signifié par l’usage du scotch et du carton pour modeler en trois dimensions les différentes scènes dont il s’empare : la famille royale népalaise avant son massacre, l’exhibition du corps de Che Guevara, le recueillement des voisins de la famille Flactif au Grand-Bornand et la mort en direct d’un père et de son fils lors d’un échange de tirs entre Palestiniens et Israéliens.
Marque de fabrique du Mamco, cet accrochage de séquences monographiques intégrées dans les collections permanentes du musée ne refuse pas des rapprochements thématiques. Ainsi de l’axe dessiné par Piero Gilardi, Chad McCail et Stéphane Magnin, lesquels, à des niveaux différents, développent une œuvre aux dimensions prospectives et utopistes. Stéphane Magnin a entrepris une occupation du musée sous le signe de la science-fiction. Appelée à se poursuivre au fil de mois, celle-ci avait d’ailleurs débuté en octobre 2003 avec l’atterrissage de 1,3 G. Originellement construite à la Villa Arson, à Nice, lors de l’exposition « Lee 3 Tau Ceti Central Armory Show » (lire le JdA n° 175, 29 août 2003), la sculpture, dont les contours prennent ceux d’un crâne déformé par une gravité amplifiée, est aujourd’hui agrémentée de coussins et d’un revêtement soulignant sa vocation mobilière. Elle a été rejointe par Th8kosmos-index 1 (Gravité zéro), un autre module ambivalent qui sera amplifié par la suite, tout comme l’habillage de la salle le sera par le biais de motifs hexagonaux disposés sur les murs.

Éden du XXIe siècle
Piero Gilardi dévoile, lui, les maquettes et le concept de son « Parc d’art vivant », un projet d’aménagement pour la ville de Turin basé sur les interactions entre l’art, la nature et les visiteurs. Nils Udo ou Dominique Gonzalez-Foerster figurent parmi les artistes ayant déjà proposé des œuvres à inclure dans un ensemble qui, selon les termes de Gilardi,  donnera « l’impression d’un mouvement vital complexe et jamais entièrement résolu, tel celui que nous percevons parfois dans notre essence d’être humain ». Cet accord entre hommes, culture et nature est justement au centre des diagrammes sociétaux de Chad McCail. Dans une série ancienne, Food, Shelter, Clothing, Fuel (1999), l’artiste irlandais délivre par le biais de gouaches soignées des appels à partager la terre, brûler l’argent, détruire les routes… des mots d’ordre qui ravivent les utopies sociales du XIXe siècle (Fourier et Proudhon davantage que Marx) pour construire l’Éden du XXIe. Composée de larges panneaux illustrés, sa nouvelle série, Snake, se présente comme une démonstration théorique en deux temps. Dans le premier, McCail établit autour de la figure symbolique du serpent un cycle affectif et écologique assurant le bien-être d’une communauté à la fois futuriste et primitive, fondée sur le partage et la confiance. Dans le second, la perte de ces dernières valeurs aboutit à un dérèglement de l’écosystème, la société dissociant « les relations entre les hommes et leurs désirs pour maintenir les pouvoirs et les privilèges d’une élite ». La mise au point et l’usage de pictogrammes pour décrypter des mécanismes de domination et d’aliénation revient aux racines du genre. En s’inscrivant dans la droite ligne de l’Isotype – système de visualisation inventé à la fin des années 1920 par le sociologue viennois Otto Neurath (1882-1945) pour apporter au citoyen ordinaire la connaissance des mécanismes sociaux et politiques –, Chad McCail redonne aux images une fonction.

Tour-détours de Babel

Jusqu’au 9 mai, Musée d’art moderne et contemporain, 10, rue des Vieux-Grenadiers, Genève, tlj 12h-18h, samedi et dimanche 11h-18h, tél. 41 22 320 61 22, www.mamco.ch

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°190 du 2 avril 2004, avec le titre suivant : Science-Sociale-Fiction

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