Sauvetage

Rodin recadre Mapplethorpe

Alors que le Grand Palais échoue à rendre compte convenablement du travail photographique de Robert Mapplethorpe, le Musée Rodin y parvient en le confrontant aux plâtres et bronzes du maître

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 22 avril 2014 - 728 mots

PARIS

Lisse et dépourvue d’une mise en contexte historique, la première rétrospective française de l’œuvre de Robert Mapplethorpe au Grand Palais, à Paris, déçoit. Quant à elle, la confrontation inattendue au Musée Rodin entre le photographe américain et le sculpteur français pose un regard original sur les œuvres des deux artistes que tout devrait séparer, et donne lieu à des rapprochements naturels.

PARIS - La grande exposition monographique de Robert Mapplethorpe reste encore à faire. Le Grand Palais peut se targuer d’organiser la première rétrospective en France du sulfureux photographe américain, l’ambition ne tient pas ses promesses. Il suffit de quelques pas dans le cadre feutré et élégant de l’exposition, au délicat camaïeu de gris du sol au plafond et à la moquette moelleuse, pour mesurer que l’on ne dépassera pas la littéralité ni l’ordonnancement des photos fixées en résonance avec des citations du photographe qui jalonnent, rythment le parcours à commencer par celle que l’on peut lire au début, et qui est au cœur du propos : « Si j’étais né il y a cent ans ou deux cents ans, j’aurais été sans doute sculpteur, mais la photographie est une façon rapide de regarder, de créer une sculpture. »

La question du corps est donc au centre de cette rétrospective et son pendant pour Mappelthorpe : la recherche « de la perfection dans la forme. Dans les portraits. Avec les sexes. Avec les fleurs. » Une question effectivement centrale dans l’œuvre du photographe, mais à peine ébauchée au Grand Palais, tout comme la question de la sexualité largement mise en sourdine. Ce n’est qu’au Musée Rodin, où le dialogue monté de toutes pièces entre le photographe et le sculpteur – que tout semble pourtant opposer – fournit un discours scientifique et des interactions sources de réflexions. Mapplethorpe n’a jamais fait référence à Rodin. Et pourtant l’intuition de la commissaire d’aller voir du côté de ce musée a donné l’occasion à ses conservateurs de réfléchir aux rapprochements visuels possibles entre l’œuvre des deux artistes. Pour cette occasion, sortent des réserves des études, des plâtres et des pièces en bronze de toute beauté, jamais vus ou très peu montrés. Des pièces étonnantes autant par les expérimentations auxquelles elles ont donné lieu que par leur sensualité, leur souffle de vie. Jamais l’œuvre de Mapplethorpe n’a été aussi bien mise en résonance avec l’œuvre d’un sculpteur ; la scénographie tout en transparence de Nathalie Crinière créé des dialogues, des échos qui adoucissent la surpuissance de ses corps.

Un portrait en mal de perspective
Au Grand Palais, le manque d’analyse, de contextualisation des audaces esthétiques de Mapplethrope ou de son académisme font terriblement défaut. Comme manquent les références artistiques et les années 1970-1980 reléguées à la biographie en fin de parcours, alors que leur évocation est essentielle pour comprendre les raisons d’être de ses photographies. Est également occulté l’appareil critique que l’on pourrait attendre à côté de tel ou tel cliché. Rien au cours du parcours n’indique par exemple quelles places, quels rôles ont tenu John McKendry, Sam Wagstaff ou Andy Warhol dans la vie et l’œuvre du photographe américain. Rarement les cartels d’une exposition du Grand Palais n’auront été par ailleurs aussi succincts. Impossible de savoir à leur lecture si telle ou telle image est un vintage ou un tirage moderne, un comble pour une exposition photo dans un tel lieu où la précision, l’exhaustivité du propos est de rigueur quand on parle de Braque ou de Monet. La Fondation Robert Mapplethorpe, gardienne de ses archives et de sa mémoire, sans qui l’exposition au Grand Palais n’aurait pu s’organiser, ne le souhaite pas. Détail dira-t-on... cependant symptomatique du positionnement que l’on retrouve dans cette succession de galeries de photographies et de portraits en mal de contextualisation, comme si leur esthétique, leur plastique, leur côté sulfureux ou leurs figures célèbres, telles celles de Patti Smith ou de Lisa Lyon, suffisaient à parler de l’homme, du photographe et à entretenir le mythe.

Mapplethorpe (Grand-Palais)
Commissaire général : Jêrome Neutres, commissaires associés : Joree Adilman, conservateur de la fondation Robert Mapplethorpe, Hélène Pinet (conservatrice au Musée Rodin) et Judith Benhamou-Huet (journaliste critique d’art)
Nombre d’œuvres : 262

Mapplethorpe Rodin
Commissaire : Judith Benhamou-Huet, Hélène Pinet (responsable de la recherche et des collections de photographies du musée Rodin), Hélène Marraud (attachée de conservation, chargée des sculptures du Musée Rodin).
Nombre d’œuvres : 102 photographies, 50 sculptures.

Robert Mapplethorpe
Jusqu’au 13 juillet, Grand Palais, Galerie sud-est, entrée avenue Winston Churchill, 75008 Paris, mercredi-samedi 10h-22h, dimanche-lundi 10h-20, catalogue, éditions RMN-Grand Palais, 272 pages, 35 €.

Mapplethorpe Rodin
Jusqu’au 21 septembre, Musée Rodin, 79 rue de Varenne 75007 Paris, mardi-dimanche 10h-17h45, mercredi jusqu’à 20h45
www.musee-rodin.fr
catalogue Éditions du musée Rodin/Actes Sud, 296 pages, 40 €.

Légende photo Robert Mapplethorpe, The Sluggard (Le Paresseux),1988, épreuve gelatino-argentique, 61 x 50,8 cm, Fondation Robert Mapplethorpe, New York. © Robert Mapplethorpe Foundation. Used by permission.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°412 du 25 avril 2014, avec le titre suivant : Rodin recadre Mapplethorpe

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