À Münchenstein, près de Bâle, en Suisse, le Schaulager orchestre une rétrospective magistrale de l’œuvre de Robert Gober (né en 1954 à Wallingford, Connecticut). Une présentation marquée par la reconstitution à l’identique d’expositions clés pour le sculpteur, tels un accrochage à la galerie Paula Cooper (New”¯York) en 1989 ou son installation au DIA Center for the Arts (New”¯York) en 1992.
Comment avez-vous réagi à l’offre, par le Shaulager, d’une rétrospective de votre œuvre ?
Cela n’a pas été une décision très difficile à prendre quand Theodora Vischer [la directrice du Shaulager] me l’a demandé. La chose m’a semblée naturelle, puisque le Schaulager présente de façon permanente dans le musée l’installation réalisée pour le MoCA [Museum of Contemporary Art] de Los Angeles, avec la Vierge Marie (Untitled, 1995-1997). De plus, j’ai eu des opportunités de travail que d’autres institutions ne pouvaient m’offrir, car le centre d’art organise une seule exposition par an et reste fermé durant sept mois de l’année. Il était donc possible de remonter des installations importantes qui, à l’origine, ont nécessité plusieurs mois de création, ce qui paraît très délicat dans le cadre de musées « traditionnels ».
Pourquoi avez-vous dès le début orienté votre travail sur la voie de l’objectivation, en utilisant des objets que vous modifiez ou à partir desquels vous réalisez des moulages, par exemple ?
Je répondrai en éludant la question. Sinon je serais tenté de demander « quelle sculpture n’est pas un objet ? ». Car j’essaye de faire des sculptures d’objets abstraits, comme la pièce en contreplaqué qui se trouve dans la reconstitution de l’exposition organisée à la Menil Collection, à Houston (« The Meat Wagon », commissaire : Robert Gober, 2005). Quand je l’ai achevée, c’était une sculpture hyperréaliste d’un objet abstrait. Mais je pense que je devrais envisager cette question image par image plutôt que de proposer un « statement » cumulatif à propos de ce que signifie « sculpture d’objet ».
L’idée du « fait main » est-elle importante pour vous ?
Non, pas du tout. Il semble qu’elle le soit plus pour d’autres que pour moi-même, car je lis toujours des écrits dans lesquels des gens présument que c’est important pour moi. Mais il y a beaucoup de sculptures que je ne touche jamais. Mes assistants les font et mes mains ne les touchent pas. Parfois j’exécute l’intégralité d’une pièce, mais je ne crois pas que le spectateur pourrait dire, en regardant beaucoup de mes sculptures, laquelle j’ai touchée ou non. L’effet est similaire.
Votre œuvre est très marquée par des oppositions entre douleur et plaisir, humour et gravité, sacré et profane. Ces antinomies sont-elles fondamentales ?
Elles le sont. Et aussi, je suis totalement à la recherche d’un équilibre. Mais ironiquement, cet équilibre crée une friction, laquelle, je pense, est très intéressante. La capacité de contenir simultanément des pensées et des idées contradictoires est pour moi vraiment irrésistible.
À propos de la relation que vous instaurez dans vos travaux entre religion et sexualité, cette confrontation est-elle une opposition ou une tentative de conciliation ?
Opposition et célébration s’unissent. Par célébration, j’entends la beauté du don de la sexualité.
Cela aurait-il trait à la pureté ?
J’espère que non !
Vous montrez beaucoup de choses partiellement cachées, des fragments…
L’histoire de l’art, qui est le langage d’où je parle, est pensée par le biais de fragments, à cause des dommages que le temps fait subir aux œuvres. C’est certainement un langage que j’ai étudié et que je continue d’utiliser d’une autre manière.
Votre pratique de curateur, qui apparaît dans l’exposition avec la reconstitution de deux expositions que vous avez organisées, semble vous être très chère…
Oui, en effet. Je ne le fais pas si souvent, mais c’est important car cela me permet d’étendre ma sensibilité, en incluant des objets ou des modes de pensée que je ne peux accomplir ou réfléchir dans mon propre travail. J’ai là l’occasion de faire quelque chose de plus complexe que je ne pourrais le faire tout seul à ce moment-là. Certaines de ces choses ont alors tendance à s’incorporer à mon travail. Et puis c’est une manière de sortir de ma tête, d’être un petit plus « dans le monde », et de travailler avec d’autres personnes, qu’elles soient vivantes ou mortes.
Évoquez-vous l’histoire sociale dans votre travail ?
Si j’en parle, c’est de manière secondaire, ou bien il s’agit d’une dérivation de l’objet. Mais c’est présent, oui.
Qu’est-ce qui est pour vous essentiel dans cet aspect de l’histoire ?
Vous avez parlé des oppositions et de la pureté. La manière dont l’Amérique se présente elle-même est symptomatique de l’hypocrisie de l’identité américaine. Le pays fait semblant d’avoir la vertu en son sein alors qu’en réalité il a tendu vers le génocide. Les deux choses sont réconciliées dans l’imaginaire américain.
Votre travail n’est pas violent, mais il inclut indéniablement une part de violence. Est-ce un facteur important à considérer au regard des relations humaines ?
Mon travail ne fait sens que s’il reflète le monde, qui inclut la violence. Et les États-Unis sont un pays très violent.
Avez-vous parfois été influencé par le cinéma ?
Non, je vois peut-être un film par an.
D’une manière générale, cherchez-vous un équilibre entre conscient et inconscient ?
Pas vraiment. Cela serait astucieux pour moi, mais je n’essaye pas consciemment de faire cela.
Votre œuvre porte toutefois beaucoup à interprétation et tient aussi du récit que développe le spectateur. Or cette narration ouvre sur le champ de l’inconscient…
Absolument. Je dirais que si je travaille bien et si l’œuvre est réussie, c’est, me concernant, plus inconscient que conscient. Mais vous devez faire l’œuvre, et l’image également. Tout cela implique la conscience. Les deux vont donc main dans la main.
Jusqu’au 14 octobre, Schaulager, Ruchfeldstrasse 19, Münchenstein/Bâle, tél. 41 61 335 32 32, www.schau lager.org, du mardi au vendredi 12h-18h, jeudi jusqu’à 19h, samedi-dimanche 10h-17h. Catalogue, coéd. Schaulager/Steidl Verlag, 520 p., 500 ill., ISBN 978-3-9522967-5-2, 64 francs suisses, environ 39 euros.
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Robert Gober
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°261 du 8 juin 2007, avec le titre suivant : Robert Gober