Il arrive que des œuvres se mettent à dialoguer sans qu’un commissaire ne les ait agencées à cet effet. Et à tendre l’oreille au conciliabule qui se tient au FRAC des Pays de la Loire, il semble qu’on reconnaisse la force d’une œuvre à sa volubilité.
CARQUEFOU (Loire-Atlantique) - La peinture murale de Neal Beggs, l’installation sonore de Dominique Blais et l’environnement fabriqué par Spencer Finch, dans un langage différent, convient à trois expériences hypnotiques.
Ces trois pièces, réunies (presque) par hasard, déstabilisent par trois fois les codes de la perception pour questionner les modalités de la représentation. Leur dispositif réfère chacun à un élément naturel, induisant un incessant aller-retour entre nature et culture.
Ces trois œuvres semblent s’être passées le mot pour suspendre le regardeur dans une contemplation précaire, où l’expérience sensorielle est rattrapée par une bousculade d’interprétations. Coïncidence ? Ou bien l’absence de dénominateur commun entre les œuvres présentées à Carquefou mimerait-elle la rhétorique de l’ellipse, qui s’illustre ici à trois reprises ? La première définit le motif de la peinture murale de Beggs dans le hall d’entrée du FRAC. If Muhammad condense le proverbe : « Si la montagne ne va pas à Mahomet… »
Détouré par nombre de courbes sillonnant les lettres, la formule se fige sur le mur tandis que le conditionnel libère les possibilités des sens. L’écriture réconcilie Mahomet et la montagne en l’inscrivant dans ses lignes géologiques, tandis que la méditation du prophète s’éprouve dans la patience de l’artiste. Mais la piste interprétative pourrait aussi bien faire demi-tour pour voir, dans la formule fétichisée, le nom d’un groupe de rock sur un cahier d’écolier.
Dessin sonore
L’Ellipse est aussi le titre de l’installation de Blais dans la salle Mario Toran, où seize micros sur pied sont les éléments graphiques d’une composition circulaire. Tournés vers le public, ils contrarient pourtant l’intention participative dès que le récepteur s’avère émetteur. Un bruit passe d’un micro à l’autre en formant un dessin sonore, qui perturbe d’autant plus les lois de la perception qu’il est l’amplification d’une fréquence inaudible enregistrée au pôle nord. Captivé par le phénomène, le visiteur en oublierait l’heure, songeant que l’ellipse serait une distorsion de la courbe du temps. L’artiste a malicieusement placé une vidéo en boucle qui montre les rouages d’une horloge, où le temps file sans jamais dire l’heure qu’il est.
Dans la salle Jean-François Taddei, le temps s’est arrêté au lever de lune sur la mer. Finch l’alchimiste a saisi l’essence de cette sensation particulière, disséqué ce souvenir commun pour en extraire trois éléments : la surface réfléchissante de l’eau, la faible lumière blanche de l’astre, et l’embarcadère en bois où déambulent les promeneurs insomniaques. Ces trois éléments sculpturaux composent une « abstraction de clair de lune ». En arpentant cette installation, la magie opère. L’extase est-elle due à la contemplation de l’œuvre, ou par son herméneutique, au sentiment romantique de se tenir « entre la lune et la mer » ? Dans une jouissive confusion, le spectateur semble se trouver devant l’art qui imite la nature, qui imite l’art.
NEAL BEGGS, DOMINIQUE BLAIS, SPENCER FINCH, jusqu’au 30 mai, FRAC des Pays de la Loire, La Fleuriaye, boulevard Ampère, 44470 Carquefou, tél. 02 28 01 50 00, du mercredi au dimanche 14h-18h
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Rêveries de promeneurs
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Abonnez-vous dès 1 €Trois œuvres monumentales : Neal Beggs, If Muhammad ; Dominique Blais, L’Ellipse ; Spencer Finch, Between the moon and the sea
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°323 du 16 avril 2010, avec le titre suivant : Rêveries de promeneurs