Au Castello di Rivoli, « The Painting of Modern Life » revient sur les liens entre peinture et photographie. Une relation des plus ambiguës.
RIVOLI - Entre 1976 et 1977, Martin Kippenberger séjourne pendant plusieurs mois à Florence, en Italie. Chaque jour, il s’astreint à peindre deux toiles, de formats identiques (60 x 50 cm), toutes en noir et blanc et aux sujets divers et banaux. Et pour cause, la source iconographique que l’artiste reproduit provient du quotidien le plus immédiat, de clichés qu’il a pris lui-même dans la rue ou des coupures de presse.
Présentée par le Castello di Rivoli, l’exposition « The Painting of Modern Life » revient sur les liens unissant peinture et photographie, et plus précisément sur la manière dont la photo inspire les peintres et devient la source première du tableau. Un usage venu comme en réaction à une forme d’exhibitionnisme exacerbé des tréfonds de la subjectivité portée par la peinture abstraite et gestuelle en particulier.
Avec sa série Uno di Voi, un Tedesco in Firenze (1977), Kippenberger pose, comme nombre d’autres artistes, un recours du photographique comme base au développement du pictural dans un monde saturé d’images. Ce faisant, l’artiste allemand cherche à dresser un portrait le plus fidèle possible des lieux où il séjourne, en s’attachant à en « portraiturer » des scènes ou des détails parmi les plus insignifiants, avec une peinture sans qualités particulières.
Accrochés en milieu de parcours, ces tableaux exercent une transition commode dans le déroulé pour l’essentiel chronologique, qui voit clairement, entre les années 1960 et le présent, se dessiner une nette évolution dans l’image, sans que jamais l’usage du réalisme photographique ne se soustraie à une certaine ambiguïté.
Un filtre pictural
Car d’entrée de jeu, de par la frontalité de la représentation et l’absence de toute connotation subjective, le courant hyperréaliste instille le doute quant à la nature même de l’objet proposé. En témoignent les saisissantes toiles de Donald Bechtle, figurant une voiture devant une maison (‘67 Chrysler, 1973) ou sa mère devant son véhicule (Alameda Chrysler, 1981), qui en se plaçant de plain-pied dans le réel se jouent avec brio de la réalité des médias. L’absence, dans ce contexte, de Richard Estes et de Chuck Close apparaît tel un manque criant et inexplicable.
Suivent beaucoup d’artistes que l’histoire a, à des degrés divers, qualifiés de photoréalistes (Gerhard Richter, Richard Hamilton, David Hockney, Malcolm Morley, Franz Gertsch…), mais qui tous introduisent dans leurs représentations des manipulations et subtilités induisant une prise de distance avec le médium originel. Ainsi, Vija Celmins, qui par la qualité de sa touche si caractéristique et précautionneuse ne se contente pas de reproduire un avion militaire (Flying Fortress, 1966) ou une explosion (Explosion at Sea, 1966), mais leur ôte une certaine dimension temporelle et pose comme un filtre entre l’image et sa représentation.
Plus qu’une représentation, la traduction de la photographie vers la peinture apparaît comme une manière de reconsidérer et de réimaginer la manière de montrer le monde environnant.
La seconde moitié de l’exposition en témoigne, avec une ambiance plus lourde et grave, où l’image source apparaît encore plus chahutée, malmenée, manipulée au profit de la difficile relation que nous entretenons avec la réalité et la façon de la regarder. Marlene Dumas donne à voir une réalité très altérée en figurant une photo de classe (The Teacher (sub a), 1987). Peter Doig ne conserve, dans une toile délavée montrant les alentours d’un stade après un concert, qu’une atmosphère mélancolique et atemporelle, loin de l’énergie de l’événement (Buffalo Station I, 1997-98). En figurant quatre prisonniers de guerre, Luc Tuymans les enferme dans une atmosphère souple, une sorte de ouate qui rend les visages plus forts encore que ne le ferait la photographie (Prisoners of War, 2001). Toutes choses qui mettent au défi notre croyance en l’image.
Trop rarement vue en Europe, Judith Eisler isole des scènes de films, les photographie et les reconstruit. De ses tableaux n’émerge pas un récit, mais le développement de narrations possibles issues de la dimension émotionnelle et psychologique créée par l’interruption de l’action. D’autant plus intense que, comme en un retournement, l’image penche parfois vers une déformation qui pourrait virer à l’abstraction (Edie (Ciao Manhattan), 2003). Non sans une certaine cruauté, beaucoup de peintres soulignent par leur pratique un certain échec de la photographie à portraiturer le monde contemporain.
THE PAINTING OF MODERN LIFE, jusqu’au 4 mai, Castello di Rivoli, Piazza Mafalda di Savoia, Rivoli (Turin), tél. 39 011 9565220, www.castello dirivoli.org, tlj sauf lundi 10h-17h, vendredi et dimanche 10h-21h. Cat. éd. Hayward Publishing, 196 p., ISBN 978-1-85332-263-1.
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Réalisme photographique
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire : Ralph Rugoff, directeur du Hayward/Southbank Centre, Londres
- Nombre d’artistes : 22
- Nombre d’œuvres : 79
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°277 du 14 mars 2008, avec le titre suivant : Réalisme photographique