Discrète en France, l’artiste anglaise Rachel Whiteread expose à la galerie Nelson-Freeman, à Paris, un ensemble d’œuvres inédites, parmi lesquelles une étonnante série de cartes postales retravaillées et des étagères où s’assemblent des volumes divers.
Plusieurs œuvres de votre exposition regroupent des moulages évoquant des objets familiers, la plupart posés sur des étagères (Line Up, Step, Yellow Yellow…, 2007-2008) ou sur une chaise (Sit, 2007-2008), qui pour autant ne tombent pas dans le registre de la représentation. Les considérez-vous comme des natures mortes ?
Il est nécessaire de revenir un peu en arrière pour considérer ces œuvres. J’ai souvent fait beaucoup de travaux avec des groupes de gens ; j’avais de nombreux assistants dans mon atelier pour réaliser des pièces de grande ampleur. Puis j’ai décidé que je voulais travailler très tranquillement par moi-même. Cela arrive à tous les artistes. J’ai toujours travaillé sur de petites et de très grandes échelles. Mais, parfois, face à la grande échelle, vous devenez comme un producteur de votre propre travail plutôt que l’artisan d’une chose sur laquelle vous passez du temps. J’ai donc tout simplement voulu avoir du temps dans mon atelier, en travaillant de nouveau avec des unités que j’aurai plaisir à construire. J’ai suivi cette voie, j’y ai pensé mais sans me dire que je faisais des natures mortes.
Ce n’était pas ma pensée initiale.
Qu’y a-t-il de nouveau dans ce retour à un format plus modeste ?
J’ai réalisé beaucoup d’œuvres avec des boîtes avant cela, certaines très grandes, d’autres petites, et la plupart posées sur le sol ou sur des tables, mais très peu furent accrochées au mur. J’ai décidé de les mettre en hauteur, et j’ai alors fait des moulages, essentiellement de déchets, ou de choses comme une boîte qui avait contenu de la nourriture. Je gardais ce genre d’objets, d’emballages ; je voulais simplement utiliser les choses de tous les jours qui m’entouraient. Je les ai rassemblées, peintes et moulées dans toutes sortes de matériaux : bronze, fer, acier, cire, plâtre, résine… Il y avait un grand éventail de matières et de couleurs, puis j’ai ensuite tout étalé sur des tables et me suis mise à marcher dans l’atelier, en commençant à composer et à faire des schémas d’une certaine manière. Cela ressemblait un peu à la façon dont je fais des dessins. Travailler de cette manière, très calmement, était juste un processus cathartique. Puis j’ai trouvé que quatre d’entre elles fonctionnaient bien et j’ai démantelé les autres. Il s’agissait vraiment d’un processus, de quelque chose de très maniable. Mais manier l’intuition à travers un processus intellectuel était véritablement un défi.
Quand vous mentionnez la large gamme de matériaux et de formes que vous avez utilisée, s’agissait-il de tenter de trouver la bonne solution, ou cherchiez-vous plutôt une diversité dans ces travaux ?
Je souhaitais avoir une diversité et je voulais aussi introduire la couleur, l’attente également. Parfois, vous voyez quelque chose qui semblerait être en polystyrène, mais qui est, en fait, du plâtre ou de l’acier. Jouer avec la notion de leur aspect physique est intéressant. Aucun élément n’était attaché à un autre, tout reposait plus dans le fait de les disposer. Je crois aussi que c’était une façon de m’évaluer moi-même en utilisant le langage que j’ai développé au cours des vingt dernières années, et d’une certaine manière un jeu avec ce que je n’avais jamais fait auparavant. Très souvent, vous vous encadrez vous-même dans les règles que vous avez vous-même établies. Mais j’ai réalisé que les règles étaient faites pour être brisées et pour jouer avec. C’est ce que j’ai fait, et ce fut une autre façon de jouer avec le langage que j’ai élaboré.
Dans vos cartes postales, vous avez repeint en blanc le motif architectural et l’avez ensuite perforé (Raze, 2010). Il a donc disparu mais, en même temps, il est toujours là car il acquiert une autre présence…
J’ai commencé à réaliser ces cartes postales il y a plusieurs années. C’est quelque chose que j’ai l’habitude de faire quand je voyage, dans des chambres d’hôtel par exemple. Perforer les images les fait disparaître, mais la manière dont elles sont encadrées, avec un petit vide derrière, fait que vous avez un autre espace, et les points peuvent presque devenir tridimensionnels. Il s’agit juste d’une autre manière d’explorer l’espace et de traiter des constructions que je ne peux pas faire disparaître, car elles sont trop grosses !
Jusqu’au 13 novembre, galerie Nelson-Freeman, 59, rue Quincampoix, 75004 Paris, tél. 01 42 71 74 56, www.galerienelsonfreeman.com, tlj sauf dimanche et lundi 11h-13h et 14h-19h
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Rachel Whiteread - « Une façon de m’évaluer moi-même »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°332 du 8 octobre 2010, avec le titre suivant : Rachel Whiteread - « Une façon de m’évaluer moi-même »