Grenoble

Quand le domestique devient politique

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 14 février 2012 - 677 mots

GRENOBLE [17.02.12] - L’artiste Lili Reynaud-Dewar unit le « domestique » au politique dans une monographie conçue pour Le Magasin à Grenoble.PAR FRÉDÉRIC BONNET

Qui connaît les espaces d’exposition du Magasin de Grenoble n’en reconnaîtra pas l’ordonnancement traditionnel. Un plan des lieux reconfigurés est toutefois accroché au mur. Couvert de notes manuscrites, il esquisse le contenu d’une exposition pensée comme prenant place dans un possible espace domestique ; raison pour laquelle les salles du centre d’art ont été redistribuées autour d’un couloir central. Ce faisant, Lili Reynaud-Dewar introduit une amorce de récit biographique, confirmée par le titre de la manifestation affirmant sans ambages : « Ceci est ma maison ».

De biographie, il est en effet question dans un parcours réparti en neuf salles et autant d’installations qui, toutes, à des degrés divers, prennent appui sur le vécu de l’artiste tant familial que professionnel et culturel. Or c’est précisément cette double ouverture qui confère à son travail sa pertinence et son envergure. Dans une salle intitulée « The Race, la Razza, la Corsa/Interpretation », par exemple, trône un lit aux volumes schématiques accompagné d’une sculpture très construite, faite d’un assemblage de figures géométriques dont certaines sont recouvertes de tissus africains. L’installation provient d’une interprétation de la « rencontre » entre Sun Ra et sa mère lors d’un concert à la Fondation Maeght (Saint-Paul de Vence) dans les années 1970, un épisode que lui a conté cette dernière. De là est née une réflexion sur l’évolution politique et artistique du musicien – entre production de divertissement et réflexion sur la ségrégation aux États-Unis, dont attestent des textes repris sur des panneaux –, et sur ce qu’elle en retient elle, en tant que femme artiste au début du XXIe siècle.

L’ensemble du parcours est à l’avenant, mêlant influences politiques et culturelles et bribes d’histoires personnelles. Souvent ses installations sont accompagnées de vidéos : des films d’auteurs (Genet, Fassbinder, Pasolini…) inspirant sa réflexion, mais aussi des témoignages de performances exécutées à l’aide des objets donnés à voir, et qui introduisent un degré de lecture, si ce n’est de complexité supplémentaire. L’artiste manie les référents culturels avec subtilité. Parfois un peu trop, au risque d’une abstraction égarant le visiteur, comme lorsque qu’est évoquée la pensée d’Ettore Sottsass relative au productivisme : des affiches au sol qui reproduisent un texte du designer italien sont accompagnées de prototypes de chaises et d’un vase phallique (In Every Room There is the Ghost of Sex).

Agent infiltré
Le dispositif de l’exposition repose sur un présupposé exprimé sous la forme d’un texte paru dans la revue Petunia, dont Lili Reynaud-Dewar est coéditrice. Elle y défend l’idée, provocatrice et précisément indéfendable, qu’une artiste femme ne peut posséder un bien immobilier, car la propriété et les contraintes liées à la maintenance constitueraient un frein au développement de sa pratique artistique. Ce faisant, elle y compare les lieux d’exposition à de véritables espaces aménageables et modulables au gré des invitations et des projets. Elle leur confère ainsi une dimension à la fois domestique et mentale permettant des digressions de langage, textuelles et visuelles. L’assimilation est habile, qui lui permet d’amorcer cette construction fondée tant sur le privé que sur le public, et d’agir en outre comme un agent infiltré.

Car à travers des évocations de Jean Genet, de Joséphine Baker ou du groupe de Memphis, par exemple, c’est sur les attitudes transgressives, la saine résistance à opposer aux standardisations et les nécessaires revendications identitaires que se focalise l’artiste. Lili Reynaud-Dewar s’intéresse aux styles qui affectent un genre afin de pénétrer d’autres espaces que ceux qui leur sont dévolus. En mêlant à la production d’images celle de postures et d’attitudes, elle prend pied dans le champ d’un commentaire qui, tout en étant franc, ne s’annonce pas avec tambours et trompettes. Ou comment toucher profondément à la question politique… sans avoir l’air d’y toucher !

LILI REYNAUD-DEWAR. CECI EST MA MAISON

Commissaire : Yves Aupetitallot, directeur du Magasin
Nombre d’œuvres : 62

Jusqu’au 29 avril, Magasin, Site Bouchayer-Viallet, 155, cours Berriat, 38000 Grenoble, tél. 04 76 21 95 84, www.magasin-cnac.org, tlj sauf lundi 14h-19h.

Légende photo

Lili Reynaud-Dewar, The Race, la Razza, la Corsa/Interpretation, « Ceci est ma maison » au Magasin, Grenoble. © Photo : Blaise Adilon

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°363 du 17 février 2012, avec le titre suivant : Quand le domestique devient politique

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