S’appuyant sur les dons d’œuvres italiennes faits aux musées français dans les années 1930, La Box, galerie de l’École nationale supérieure d’art de Bourges, s’empare de la thématique de la propagande fasciste pour explorer la pénétration des idées politiques dans le champ culturel.
BOURGES - Intéressant exercice de réflexion que celui proposé par La Box, la galerie de l’École nationale supérieure d’art de Bourges, qui s’empare d’une question précise et clairement annoncée dans son titre : « Les artistes italiens au service de la propagande fasciste. Les dons d’œuvres italiennes aux musées français (1932-1936) ».
Certes la modeste taille des espaces ne permet pas un développement particulièrement étendu de la problématique posée. Mais avec une petite quinzaine d’œuvres bien choisies et de belle facture, le propos est centré sur l’essentiel, qui s’exprime à travers des prêts venus de quatre institutions pour le moins prestigieuses : Musée national d’art moderne, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Musée de Grenoble et Centre national des arts plastiques.
Dérive futuriste
Entre 1932 et 1936, ce ne sont pas moins de quatre donations d’art italien contemporain qui furent faites aux musées français par des collectionneurs transalpins, et immédiatement présentées au public dans des établissements nationaux. Ainsi, dès l’été 1932 fut inaugurée à Paris, dans un Jeu de paume alors consacré aux écoles étrangères contemporaines, une nouvelle salle d’art italien avec des toiles offertes par l’industriel milanais Carlo Frua de Angeli. L’année suivante, c’est à Grenoble qu’on expose des œuvres léguées par le comte Emanuele Sarmiento.
Le contenu de ces donations est loin d’être neutre, puisque composé de la fine fleur d’un art plus ou moins ouvertement réactionnaire, participant d’une remise en ordre à la fois plastique et idéologique voulue par le régime mussolinien ; y figure le mouvement Novecento en particulier, avec Mario Sironi ou Arturo Tosi, mais aussi la dérive d’ex-futuristes tels Carlo Carrà ou Gino Severini.
L’enjeu ici est moins d’examiner les seuls ressorts artistiques de la propagande fasciste et leur matérialisation formelle que de considérer la façon dont une forme d’art insidieusement politisée a pu glisser du territoire italien jusque chez son voisin. Ce afin de servir un rapprochement politique notamment piloté par le Comité France-Italie, appareil diplomatique très discret mais efficace ; rapprochement pas toujours affirmé, les relations entre les deux pays ayant au début des années 1930 un caractère pour le moins ambigu.
L’exposition montre clairement que la propagande passe non par les signes manifestes du fascisme mais par des œuvres de qualité, parfois très séduisantes, telles une toile aérofuturiste de Fillia (L’Homme et la Femme, 1929-1930) ou une nature morte de Filippo de Pisis (Le Crabe, s. d.). À travers un regard sur des postures réactionnaires mais séductrices servies en exemple aux artistes français, le problème réellement posé devient le degré d’acceptation et d’assimilation d’un art de cette nature en France.
Prenant place dans la galerie d’une école d’art, cette réflexion dépasse son objet stricto sensu et ouvre son champ d’interrogations. Les étudiants ne s’y sont pas trompés, qui se sont impliqués en nombre dans le montage de ce projet, à travers notamment la réalisation d’un matériel documentaire (film et documentation sonore) permettant d’éclairer le contexte et le déroulement des événements (donations, expositions…). Complété par un séminaire intitulé « Art et propagande », ce questionnement porte ici sans détour sur les enjeux et les risques d’une politique culturelle, et son importance dans un champ politique plus global, aujourd’hui encore !
Nul besoin de crier au loup, mais les exemples de manipulation par l’image sont toujours trop nombreux pour se dispenser de scruter attentivement l’usage politique des images et leur glissement et/ou dévoiement possible. C’est l’un des mérites de cette exposition que de rappeler à des artistes en formation que la possible relation de l’art contemporain au politique doit toujours être pensée avec la plus extrême précision.
Commissaire : Catherine Fraixe, professeure d’histoire de l’art à l’Ensa de Bourges
Nombre d’œuvres : 14
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Quand artiste rime avec fasciste
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Abonnez-vous dès 1 €LES ARTISTES ITALIENS AU SERVICE DE LA PROPAGANDE FASCISTE. LES DONS D’ŒUVRES ITALIENNES AUX MUSÉES FRANÇAIS (1932-1936), jusqu’au 20 février, La Box, École nationale supérieure d’art, 9, rue Édouard-Branly, 18000 Bourges, tél. 02 48 24 78 70, www.box.ensa-bourges.fr, tlj sauf dimanche-lundi 14h-18h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°318 du 5 février 2010, avec le titre suivant : Quand artiste rime avec fasciste