Au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Marc Desgrandchamps s’affirme comme un fin concepteur d’images. Une impression de monotonie se dégage cependant de l’exposition.
PARIS - Dans la peinture de Marc Desgrandchamps, sans cesse l’œil est soumis à un mouvement de va-et-vient à l’intérieur même du tableau. Toujours un fond plante le décor d’une action pas nécessairement identifiable, fruit de l’agencement de personnages ou d’objets regroupés au premier plan du tableau, comme pour renforcer leur caractère intrusif. Ce caractère intrusif, c’est l’un des aspects qui domine le parcours rétrospectif couvrant une période allant de 1987 à 2011, et proposé par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Y sont regroupés une quarantaine de peintures et une soixantaine de travaux graphiques : dessins, lavis, lithographies, mais aussi collages récents, qui entrent en résonance avec le principe constitutif des tableaux et leur tonalité visuelle. Dans ces toiles, tout se passe comme si le fait de planter un décor naturel – souvent marqué par un horizon fort et une présence affirmée tant de la terre que du ciel, qui construisent un solide cadre à la scène en train de se jouer – n’était que prétexte à faire advenir à la surface des éléments à l’ambivalence perturbante. Ici les corps sont diaphanes ou disloqués, là apparaissent de curieux morceaux de campements précaires, ailleurs des motifs évoquent la guerre… Le fait que les compositions ne portent pas de titre entretient également la confusion.
Le chaos est souvent là, mais jamais directement explicité. La violence est présente mais contenue, comme en un écho assourdi. Le traumatisme porte en lui une charge séduisante, le désastre est attractif. Non que sa nature soit gommée ou niée, mais sa recontextualisation induit une prise de distance. L’imprécision est revendiquée, l’indétermination aussi, qui remet en question la définition et la lisibilité de l’image et de son contenu, tout en affichant des significations multiples.
Construction cinématographique
Le modus operandi est à cet égard essentiel, qui voit le motif émerger à travers le jeu des réminiscences et des souvenirs de l’artiste, issus notamment de l’accumulation d’une documentation photographique. L’image impose sa construction par collage de fragments, avec des composants latents maintenus en suspens. L’influence du cinéma n’est jamais loin, chez un artiste qui avoue penser à la construction de ses tableaux comme au montage d’un film. Ce qui parfois donne le sentiment que le processus s’est emballé pour aboutir à un chevauchement de bobines mêlant leurs contenus respectifs. La porosité est à l’œuvre, et implique dans l’image l’idée d’un passage, d’une imprégnation des éléments entre eux.
En outre se fait jour chez Desgrandchamps, dès le début des années 1990, une certaine jubilation à user du doute, entre apparition et disparition du motif ; une manière d’affirmer d’emblée l’ambiguïté de sa nature et d’installer comme facteur fondamental une indétermination procédant d’un basculement entre rêve et réalité, renforcée par l’indéfinition du contexte, tant géographique que temporel, qui opère en permanence. Là encore, un lien au cinéma est lisible. L’artiste aime à citer Blow up (1967) de [Michelangelo] Antonioni, alors qu’un homme photographie une scène de crime sans la voir : un piège pour l’œil. En l’arpentant à pas soutenus, l’exposition semble se dérouler comme un film dont les scènes changent sur le fond d’un décor sensiblement similaire, avec la sensation d’une (trop) grande unité, dans le traitement lumineux ou chromatique en particulier. C’est là la limite de l’exercice rétrospectif appliqué au travail de Marc Desgrandchamps : une impression de monotonie, renforcée par un accrochage très linéaire, qui, au final, par endroits, anesthésie quelque peu les tableaux. Peut-être un problème d’indétermination ?
MARC DESGRANDCHAMPS
Jusqu’au 4 septembre, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, av. du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h. Catalogue éd. Paris Musées, 200 p., ISBN 978-2-7596-0151-6, 34 €.
Marc Desgrandchamps est également visible jusqu’au 19 juin au Carré Sainte-Anne, 2, rue Philipy, 34000 Montpellier, tél. 04 67 34 88 21, www.montpellier.fr, tlj sauf lundi 10h-12h30, 13h30-18h.
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Principe d’indétermination
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaire : Julia Garimorth, conservatrice au MAMVP
Nombre d’œuvres : env. 40 peintures et 60 œuvres graphiques
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°348 du 27 mai 2011, avec le titre suivant : Principe d’indétermination