Considéré comme un auteur culte pour sa production de bandes dessinées, Pierre la Police pratique aussi la feuille libre. Il expose à la galerie Kamel Mennour, à Paris, « The Supremacist » (2006), une série de dessins à la gouache, où l’humour acide le dispute à la pertinence du décalage, de l’étrange et de l’incongru, qui, ensemble,
définissent un univers inimitable.
D’où vient le terme « The Supremacist » qui intitule votre exposition et toutes les œuvres que l’on y voit ?
C’est d’abord un titre. Le terme possède une certaine vibration, qui semble exercer attraction. Quand il s’agit de l’interpréter, on s’aperçoit qu’il évoque des choses tout à fait différentes selon les individus. Certains y voient l’idée du super-héros, pour d’autres cela évoque un super-machiste. Finalement, c’est un mot qui en contient beaucoup d’autres, et qui pousse à l’interprétation sans offrir autre chose que ce que chacun veut bien y voir. C’est le genre de mot que je recherche, car ce sont de bons supports de projection, qui peuvent offrir aux différents spectateurs des miroirs de leurs univers personnels.
Le fait de retrouver ce titre sur chaque œuvre impose l’idée de série. Qu’est-ce qui relie ces dessins disparates, que rien, a priori, ne semble relier ?
Il existe pour moi des thèmes récurrents et un lien évident entre tous ces dessins, même si ce lien relève en partie d’une certaine abstraction. Sur le plan de la forme, « The Supremacist » présente les attributs de la narration et de la fiction. On peut s’attendre à ce que la série raconte une histoire, mais cette attente n’est pas comblée, puisque les dessins ne font qu’ouvrir des portes, proposer des pistes, faire des promesses. C’est à chacun de combler les espaces et les trous dans la trame narrative. L’un des visiteurs de l’exposition m’a avoué avoir vu dans la série l’histoire de la télévision, un autre y a vu une publicité pour la théorie de Darwin…
Votre exposition est-elle conçue comme le déroulé de la possible bande-annonce d’un film ?
Tout à fait, il y a cette idée de simplement effleurer les choses sans rentrer dans l’explication, exactement comme dans les bandes-annonces. Comme si, d’un film, on ne retenait qu’une sélection de moments et d’images fortes et que l’on écartait tout le reste, tout ce qui relève de l’explication et de la justification. Les bandes-annonces sont parfois plus intéressantes que les films eux-mêmes, une partie du motif reste cachée, on cherche à en deviner les contours dans l’obscurité, et cette obscurité est séduisante.
Cherchez-vous à désorienter le spectateur par l’incohérence manifeste que l’on trouve dans vos dessins, mais aussi dans l’ensemble qu’ils constituent ?
Je trouve intéressante la tension provoquée par la quête de sens et sa frustration. Je cherche davantage à éclairer le spectateur qu’à le perdre, mais cela ne veut pas dire que je l’aide à rationaliser ce qu’il voit, au contraire.
Vous usez beaucoup des ressorts liés à la peur et à l’inquiétude, mais leurs mises en situation sont souvent grotesques.
Je suis assez attaché à l’idée d’entertainment, et c’est un plaisir que je me fais de proposer des visions divertissantes. Je ne fais que recycler et refléter des attitudes de la culture populaire. La peur et l’inquiétude sont le moteur dramatique de la plupart des fictions. En revanche, la combinaison de la peur avec l’hilarité ou le saugrenu provoque un sentiment peu connu, et j’aime cultiver cette sorte de vibration.
Y a-t-il une frontière entre l’art et la BD ? Où et comment vous situez-vous ?
Je ne suis pas un dessinateur de BD, même si j’en ai fait et en ferai encore. Par ailleurs, mon activité ne coïncide pas tout à fait avec le monde de l’art, mais celui-ci a des frontières mouvantes. C’est difficile de me situer par rapport à ces catégories, j’y ai d’ailleurs renoncé. Je n’ai en revanche aucun intérêt à voir de la bande dessinée exposée, je trouve qu’elle n’est nulle part plus à sa place que dans un livre. Dans l’exposition, on peut voir une sorte de planche de BD, mais elle a une bonne raison de s’y trouver. C’est d’elle que découle toute la série de dessins, et tous se rattachent à cette planche, comme s’ils en étaient une version éclatée, qu’ils s’étaient rendus libres de la tyrannie narrative.
Cherchez-vous à transgresser des formats et des codes ?
Oui, pour la jouissance rare de pouvoir, parfois, poser le pied sur un terrain où personne n’a jamais marché. Je ne le fais pas dans un esprit de challenge, mais davantage par jeu.
Votre travail est-il humoristique ?
Il peut provoquer le rire. D’ailleurs, je ris tout seul en travaillant, mais ce n’est qu’une incidence.
Qu’est-ce qui vous amuse ?
Les éruptions volcaniques, le surimi, « Bob l’éponge », et Jacques Chirac.
Jusqu’au 15 mai, galerie Kamel Mennour, 72, rue Mazarine, 75006 Paris, tél. 01 43 25 64 80, www.galeriemennour.com, tlj sauf dimanche, 11h-19h30
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Pierre la Police
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°236 du 28 avril 2006, avec le titre suivant : Pierre la Police