Le méga-collectionneur américain Peter Brant entend ouvrir en mai une fondation privée dans le Connecticut. Portrait d’un mâle dominant.
Bien que marié à la top modèle Stephanie Seymour, le magnat de l’imprimerie Peter Brant n’a rien d’un prince consort. Celui que le New York Times a baptisé le « Donald Trump avec du goût » serait plutôt de la race des mâles dominants. Et de la fibre des collectionneurs-marchands. « Peter m’a dit un jour que les artistes étaient comme des revolvers chargés, confie le créateur Maurizio Cattelan. Je pense la même chose de lui : il combine la rapidité et la puissance d’une balle au brillant des métaux les plus précieux. Et l’on peut faire des choses dangereuses avec lui. » Certains le voient comme « un mal nécessaire », collectionneur et promoteur capable d’un effet de levier sur le marché, mais aussi manipulateur sophistiqué apte à faire la pluie et le beau temps. Face à lui, les négociateurs des maisons de ventes font figures d’enfants de chœur. En mai 2008, en obtenant des garanties phénoménales pour la revente d’œuvres destinées à financer l’achat d’une imprimerie, Peter Brant a laissé les auctioneers sur la paille. Face aux collectionneurs-compétiteurs, il ne montre pas plus de faiblesse. « Quand il veut une pièce, il sait la trouver par tous les moyens. C’est un chasseur, très documenté, indique le marchand Patrick Seguin. Il est capable d’acheter le plus beau tableau de Basquiat, la plus belle pièce de Prouvé. S’il a un tapis, ce sera le plus beau, idem pour une pièce d’argenterie. Il veut l’excellence en tout. » Cette excellence, concentrée sur l’Amérique triomphante, est surtout dominée par l’attelage Warhol-Koons-Basquiat-Prince.
Né d’une famille espagnole sur la frontière entre la Roumanie et la Bulgarie, son père l’initie aux tableaux rococo qu’il achète modestement. Mais c’est dans l’art contemporain que Peter Brant fait ses crocs en achetant en 1967 un dessin de Warhol. Très vite, il rencontre le marchand zurichois Bruno Bischofberger, son premier mentor qui l’oriente d’emblée vers son confrère new-yorkais Leo Castelli. Mais si son second maître à penser ne jure que par Jasper Johns et Robert Rauschenberg, l’élève, lui, capitalise sur Andy Warhol. Au point de produire certains de ses films et de lui racheter la revue Interview. « La base du travail d’Andy est l’erreur. Pollock disait qu’il cherchait à contrôler l’erreur. Chez Warhol, la dimension abstraite de l’erreur est fondamentale. Il a bousculé l’establishment de l’art contemporain. C’était un star-fucker », explique-t-il. Outre Warhol, il achète les grands héros américains, Lichtenstein, Judd, Flavin, Oldenburg ou Franz Kline. Il poursuit depuis quelques années ses emplettes avec Urs Fischer et Karen Kilimnik. « Je ne commets pas l’erreur de ceux qui pensent que ce qu’ils ont acheté voilà quarante ans est le point d’acmé de leur collection, assure-t-il. Il y a sept ou huit ans, je ne comprenais pas Karen Kilimnik. Je me rappelle que je trouvais Elizabeth Peyton réactionnaire, alors que je la trouve aujourd’hui formidable. » Outre le célèbre Puppy de Koons, son jardin héberge des sculptures de Richard Serra, Mike Kelley et Paul McCarthy. Pourquoi, à quelques exceptions près, reste-t-il vissé sur les États-Unis ? « Comme j’achète en profondeur, il faut que je donne une ligne à ma collection, explique-t-il. New York est encore le centre de l’art, même si d’autres lieux se développent. L’art indien ou russe, ce n’est pas mon jeu, pas mon histoire. Je n’arrive pas à m’y identifier. »
« Serial » acheteur
Lorsque Peter Brant achète, c’est forcément massivement. Il possède ainsi quelque deux cents œuvres de Warhol. En deux ans, il a amassé une cinquantaine de pièces de Richard Prince. On conçoit aisément qu’avec un tel fonds il ne tolère guère que le marché de ses artistes s’effondre. L’astuce n’est donc pas de diviser pour régner, mais au contraire de regrouper un solide nombre d’acteurs, lesquels, en mettant leurs deniers sur certains artistes, évitent que la cote ne pique du nez. « Peter Brant est un accélérateur de particules. Il pousse ses amis à acheter les artistes qu’il défend, fait jouer ses réseaux et ses influences comme Aby Rosen ou Laurence Graff, qui le considèrent comme un dieu, précise le courtier Philippe Ségalot. Les artistes eux ne rêvent que d’une chose, rentrer dans sa collection, car leur marché est assuré. » Avec une force de persuasion étonnante, il serait capable de faire passer des pièces moyennes pour des chefs-d’œuvre. « À la fin, tout le monde le croit, car son système est intelligemment rodé et en plus il use de son charisme », ajoute un marchand new-yorkais. Il faut aussi dire que l’homme n’hésite pas à miser gros. « Même s’il a acheté un Warhol à 5 000 ou 10 000 dollars il y a vingt ans, il est capable de débourser aujourd’hui 30 millions de dollars pour un de ses tableaux. Or, en général, les collectionneurs qui ont acheté un artiste tôt rechignent à payer ce type de prix », souligne le courtier Philippe Ségalot. Lorsqu’en 1999 il a acquis le Pink Panther de Koons pour 1,8 million de dollars, aucun collectionneur n’avait porté la barre aussi haut pour cet artiste. Mais il est clair que l’argent va à l’argent et ce n’est qu’en investissant durablement et régulièrement que Peter Brant peut renforcer la valeur de sa collection ! Parfois, il fait chou blanc, en pariant par exemple sur Julian Schnabel dont il a produit le premier film, Basquiat, et qu’il a massivement collectionné. L’homme d’affaires martèle à l’envi son amour de l’art, certes bien réel, mais nie, sans nous convaincre, une quelconque posture spéculative. Il contrôle pourtant une partie de la chaîne artistique avec la revue Art in America. « J’achète des choses très différentes de ce qu’ils commentent dans leurs colonnes, et pour être honnête, je lis rarement la revue, affirme-t-il benoîtement. Quand j’ai acquis le Puppy de Koons à la fin des années 1990, je ne pensais pas que cela prendrait de la valeur. Essayer de faire de la stratégie ne vous conduit nulle part. » Il n’en ajoute pas moins : « Le marché de l’art n’est pas un gros mot, pourquoi l’éviter quand il fait à ce point partie de notre monde ? Le marché joue sur l’art tout comme l’Église [le faisait] au XIVe siècle. Les nouveaux mécènes sont les marchands et les collectionneurs. »
« Safari domestique »
Le nouveau Midas ne jouit toutefois pas d’une impunité totale. Peter Brant a été condamné pour fraude fiscale. Selon le Los Angeles Times, il aurait monté en 1990 avec le marchand Larry Gagosian une compagnie, Contemporary Art Hodling Corp., pour acheter soixante-deux œuvres de la collection de Richard Weisman. La société avait immédiatement revendu cinquante-huit tableaux pour un profit de 17 millions de dollars, sans payer toutefois les taxes dues. Le joueur de polo qu’est Peter Brant serait aussi un mauvais perdant. « Il ne vous serre pas la main s’il perd et est très agressif dans le jeu », remarque David Walentas qui l’affronte souvent dans l’équipe adverse dans les Hamptons.
Comme tout bon dominateur, Peter Brant refuse donc l’échec. Il ne goûte pas toujours non plus à la plaisanterie. En commandant un portrait de sa compagne à Maurizio Cattelan, il a pourtant flirté avec le ridicule. Car l’artiste-farceur s’est inspiré des nombreux trophées de chasse du collectionneur, pour sculpter un portrait de sa belle en… trophée. Dans la panoplie du macho de grand standing, la belle plante équivaudrait à une tête empaillée de gazelle ! Pour le galeriste parisien Emmanuel Perrotin, « Peter Brant a eu l’intelligence et l’humour de commander la pièce, en connaissance de cause, ce qui le dédouane du ridicule ». Le commanditaire prétend aujourd’hui que Cattelan s’est inspiré non pas des reliques de chasse, mais d’une table de Charles Honoré Lannuier (1779-1819) reposant sur un buste de femme ailée. La version de Cattelan est pourtant différente. « Je voulais faire un safari domestique », a-t-il déclaré au magazine W. On peut comprendre l’inconfort d’un mari jaloux puisque cette pièce très « naturaliste », éditée à trois exemplaires, pourrait trôner dans d’autres salons !
Peter Brant n’aligne pas juste l’attirail du millionnaire, avec le mannequin au bras et le Jeff Koons dans le jardin. En ouvrant en mai prochain la « Brant Foundation Art Study Center », un lieu de 2 000 m2 à Greenwich (Connecticut), il se dote du dernier instrument en vogue des méga-collectionneurs influents : un espace privé. « Le projet est né voilà environ six ans, rappelle-t-il. J’ai pensé que j’avais l’une des plus importantes collections d’art réalisées ces vingt-cinq dernières années, avec une majorité d’artistes encore vivants. » L’idée ? Montrer, via deux expositions annuelles, l’étendue d’un fonds dont à peine un quart est visible sur ses murs.
1947 Naissance à New York.
1967 Premier achat d’un dessin de Warhol.
2008 Vend une grande partie de sa collection.
2009 Ouvre sa Fondation d’art contemporain à Greenwich (Connecticut).
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Peter Brant, collectionneur
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°294 du 9 janvier 2009, avec le titre suivant : Peter Brant, collectionneur