« […] Dans le concert des querelles architecturales, il demeure une nécessité que l’on finirait par confondre avec l’utopie, celle du refondement des gestes du travail. Pour cela faut-il encore être d’accord sur l’idée de l’éloge de l’effort et du travail comme vertu. L’architecture en a perdu le goût. Le travail est devenu esthétiquement incorrect et l’effort politiquement incorrect. Réfugié dans l’espace de la culpabilité et de la mauvaise conscience, tel Jean Valjean, l’architecte garde le pied sur la pièce de cent sous […] », écrivait Rudy Ricciotti dans sa note d’intention du concours portant sur le centre chorégraphique national (CCN) d’Aix-en-Provence, en mai 1999.
Curieuse déclaration dont on ne sait, à la lumière d’autres déclarations plus récentes et totalement électoralistes, si elle relève du « royalisme » ou du « sarkozysme »…
Sept ans plus tard, en mai 2006, alors que le centre, dorénavant appelé Le Pavillon noir, est presque terminé, Ricciotti éclaire son propos et retrouve ses racines, en confiant à Florence Accorsi – jeune architecte et commissaire des expositions d’architecture à la Villa Noailles – : « […] Il y avait dans ce chantier des acteurs importants. Ce bâtiment reste assez artisanal. C’est un bâtiment de maçon, de coffreur, de ferrailleur, de menuisier, de boiseur, de gens du métier. Je leur dois tout et à eux seuls je dois. Je pense à tous ceux qui ont construit cet édifice, qui en ont bavé, donné leur énergie pour construire, au prix d’une construction ordinaire, cette aventure au service de Béotiens qui pensent que malgré la température du Midi, le béton est froid […] ».
Verve retrouvée, mauvais esprit affiché, agressivité pas morte, Ricciotti est bien égal à lui-même.
À l’image de Preljocaj
Résultat, à Aix-en-Provence, un parallélépipède rectangle, d’une extraordinaire densité, long de 35 m, large de 18 m, haut de 26,34 m qui accueille une salle de spectacle de 378 places, quatre studios de danse (230 m2, 180 m2, 168 m2 et 100 m2), trois ateliers (son, video et couture), le foyer des danseurs, une salle de documentation, l’accueil du public et des bureaux. Le tout mis à la disposition d’Angelin Preljocaj et de son équipe, soit soixante et un permanents dont vingt-quatre danseurs. Au total, 3 500 m2 édifiés pour un coût équivalent (1 300 euros le m2) à celui d’un gymnase lambda.
Dès sa note d’intention, en mai 1999, Ricciotti mettait d’ailleurs en évidence l’extravagante étroitesse budgétaire du projet : « […] Les dimensions mises à disposition pour construire le CCN sont limitées, l’on pourrait dire limites. C’est finalement une chance. Le projet devra exister au travers d’une rétention de matière, il n’aura que la peau et les os […] ».
Une peau et des os en tous points éblouissants et dont Ricciotti affirme qu’elles sont à l’image du physique de Preljocaj. De son physique et de la nature même de sa danse, de ses chorégraphies. Mais ici, les os, une structure porteuse faite de piles obliques en béton noir, enserrent la peau constituée par un mur rideau de verre, tendu du sol au plafond et qui laisse, le jour, entrer la lumière à flots, tandis que la nuit, le bâtiment s’illumine comme un gigantesque fanal urbain.
Tout comme Preljocaj, Ricciotti revendique la violence et l’impureté, la polémique et la cruauté.
De leur rencontre est donc né ce lieu relevant, peut-être, de ce que Ricciotti nomme « un nouveau rationalisme constructif indéterminé », où se confrontent magistralement l’espace et le mouvement, la matière et le vide, le temps et l’énergie. Et dont les contraintes budgétaires, qui ont pesé sur sa conception et sa réalisation, renvoient à une petite phrase de Paul Valéry : « Mettez des chaussons trop petits aux danseuses, elles inventeront de nouveaux pas » !
Deux irréguliers donc, l’architecte et le chorégraphe, deux tempéraments autonomes, singuliers et contestataires (et néanmoins tous deux respectivement titulaires du Grand Prix national de l’architecture, en 2006, et du Grand Prix national de la danse, en 1992, et tous deux chevaliers de la Légion d’honneur et des Arts et Lettres…), et à propos desquels, danse et architecture conjuguées, on ne peut que s’exclamer : « Quel talent ! ».
En contrepoint de l’ouverture du CCN d’Aix-en-Provence, les éditions Xavier Barral publient un livre d’entretiens entre Angelin Preljocaj et Rudy Ricciotti, menés par Eric Reinhardt et illustrés de photos de Pierre Coulibeuf. Un livre-objet singulier, découpé en trois bandes horizontales indépendantes créant ainsi l’aléatoire, l’inattendu, l’irrégularité. Pavillon noir, 80 p., 35 euros, ISBN 2-915173-19-2.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°246 du 3 novembre 2006, avec le titre suivant : Pavillon haut