Paroles d’artiste - Rineke Dijkstra

« J’aime le fait que tout soit potentiel »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 11 mai 2010 - 735 mots

À la galerie Marian Goodman, à Paris, avec trois nouvelles vidéos réalisées à Liverpool, en Angleterre, Rineke Dijkstra (née en 1959 aux Pays-Bas) poursuit son œuvre de portraitiste en auscultant les attitudes et comportements de la jeunesse.

Vous exposez au rez-de-chaussée de la galerie deux installations vidéo. Dans The Weeping Woman, Tate Liverpool (2009), des écoliers commentent un portrait de Dora Maar par Picasso, Weeping Woman (1937), sur trois projections juxtaposées. Alors que dans Ruth Drawing Picasso, Tate Liverpool (2009), une fillette tente de reproduire le tableau. D’où vous est venue l’idée d’observer les réactions de ces enfants face à Picasso ?
J’avais cette idée en tête depuis quelques années déjà et j’ai commencé à la tester à la Tate Modern, à Londres. J’ai toujours aimé travailler avec des groupes, car je m’intéresse à l’universel d’où l’on peut extraire l’individuel, mais également observer comment la dynamique de groupe influence les gens. Je crois, en outre, qu’il est intéressant de regarder cela avec des personnes portant un uniforme, car elles ont quelque chose en commun, mais vous pouvez aussi vous concentrer sur leurs expressions et petites différences. Je crois que le projet s’est amorcé à la lecture d’un livre de Michael Cunningham, Flesh and Blood, qui conte l’histoire d’une famille sur cinquante ou soixante ans. Chaque chapitre donne la parole à un membre différent de la famille. Parfois ils décrivent la même situation mais avec une approche totalement différente, car chacun ne peut parler qu’avec sa propre expérience. Ici aussi, j’ai trouvé intéressant de confronter un groupe d’enfants dans la même situation, et de les regarder. Ils parvenaient à refléter, dans ce tableau, leur propre vie et leur propre expérience.

Ces enfants vous apparaissent-ils plus en tant qu’individus ou en tant que groupe ?
La question est intéressante, car j’ai beaucoup aimé le fait qu’ils puissent être très concentrés jusqu’à oublier la caméra et donc être vraiment eux-mêmes. Souligner la personnalité des personnages m’intéresse beaucoup. Je crois que certains d’entre eux se distinguaient vraiment, notamment une fille qui d’ailleurs restait un peu en dehors, et par leurs réponses de l’un à l’autre également. J’ai réalisé cette œuvre deux fois, et la seconde, j’ai organisé différemment la structure du groupe, qui comprenait les mêmes personnes plus une. On pouvait vraiment voir des différences dans le groupe et dans la manière dont les participants se répondaient l’un l’autre.

Au sous-sol s’enchaînent cinq projections où des adolescents dansent sur leur musique favorite face à une paroi blanche : The Krazyhouse, Liverpool, UK (Megan, Simon, Nicky, Philip, Dee), 2008-2009. Vous avez en fait construit un studio dans un night-club de Liverpool. Pourquoi ne pas avoir utilisé le décor original ?
J’avais réalisé Buzzclub (1996) au même endroit, lorsque le club était ouvert. Cette fois je voulais plus insister sur la danse, il n’était donc pas nécessaire de le faire pendant les périodes d’activité. J’ai construit un studio dans le Krazyhouse, sur le dancefloor, car il était important de me situer exactement où ces adolescents ont l’habitude de se situer, tout en les isolant de leur environnement traditionnel. Pour moi, l’important n’est pas le club, mais les portraits de ces gens qui dansent ; ils sont tellement concentrés qu’ils jettent leur masque. Vous pouvez vraiment voir la personne elle-même.
Ne croyez-vous pas qu’ils jouent parfois un rôle face à la caméra ?
Bien sûr, ils sont influencés par ce moment précis, mais je les sens assez authentiques, et ils tentent là d’affirmer leur individualité.

Vous vous focalisez toujours sur les enfants et les adolescents. Pourquoi cette fascination de la jeunesse ?
Je crois que c’est parce qu’ils sont moins définis que les adultes, ils sont moins inhibés, plus ouverts. J’aime aussi le fait que tout soit potentiel, cela a également à voir avec le désir. Ils débutent leur vie, c’est important. Mais je ne les vois pas vraiment comme des enfants ou des adolescents, je les vois comme des jeunes gens.

Quelle est la différence ?
Le terme « adolescent » sonne comme un groupe spécifique avec des problèmes. Mais ils sont jeunes, ont moins d’expérience, se montrent eux-mêmes plus facilement, sont optimistes : j’aime ça. C’est aussi une question de beauté. Pas dans le sens d’une jolie peau, mais dans celui d’une innocence, d’une pureté, d’une authenticité.

RINEKE DIJKSTRA, jusqu’au 5 juin, galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 48 04 70 52, www.mariangoodman.com , du mardi au samedi 11h-19h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°325 du 14 mai 2010, avec le titre suivant : Paroles d’artiste - Rineke Dijkstra

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