En parfaite correspondance, Philippe Decrauzat installe à la galerie Praz-Delavallade, à Paris, un film et une suite de tableaux ondulants au fort impact visuel.
On a plutôt à l’esprit Philippe Decrauzat peintre, or vous exposez une suite de cinq peintures et un nouveau film. Comment articulez-vous les deux ?
Nous avons ici une installation de cinq tableaux qui s’enchaînent (Lanquidity, 2010) mais, dans la seconde salle, ce que l’on voit, ce sont aussi, quelque part, des images les unes après les autres. Le terme « film » est sans doute un peu trop fort ; il s’agit d’un travail autour des images, autour de leur succession. Le fait qu’elles soient en mouvement est pour moi une volonté de les mettre en parallèle, et même de les confronter, c’est-à-dire d’opposer également l’espace blanc autour des tableaux et l’espace noir du film, l’écran frontal d’un côté et un dispositif qui va entourer le spectateur de l’autre. Je souhaitais travailler sur ces différentes relations à l’espace.
Ensuite, la liaison entre tableau et film repose véritablement sur des qualités visuelles, lumineuses, rythmiques et spatiales, produites dans les lieux. Mes films sont réalisés sans caméra ; les images préexistent et proviennent la plupart du temps de fictions qui ont une forme de réalité, car elles existent dans le champ populaire. Screen-o-scope (2010) reprend ici quelques séquences de Rashomon de Kurosawa, qui sont des plans du soleil à travers les arbres. Or, ces images peuvent créer des liens avec des questions picturales qui m’intéressent beaucoup, comme la pulsation lumineuse, la dream machine, la production d’effets et d’hallucinations visuels. Il est intéressant de voir comment les aborder au plan pictural, dans le cadre de la réalisation d’une imagerie abstraite.
Tant dans le film que dans les peintures se tient un propos sur l’éblouissement, avec in fine des questions de distorsion dans le regard…
Tout est question de durée. Il ne s’agissait pas de créer des situations violentes. Le film reste donc assez doux, il commence très violemment puis on passe à une découpe de l’écran avec des éclairs et des flashs. Quant aux tableaux, on s’y habitue, cela dépend aussi beaucoup de comment on les regarde, du temps qu’on passe dans l’environnement, du mouvement qu’on crée. Il est assez difficile de maîtriser le parcours ou l’expérience qu’on va en faire.
On associe souvent ces expériences à l’op’art et à l’art cinétique. Le revendiquez-vous ?
Pour moi, il s’agit d’un cadre d’images, d’une production abstraite qui existe dans l’art cinétique et dans l’op’art, mais aussi dans nombre de catégories et modes de représentation depuis le début du siècle passé, à travers notamment les rendus graphiques de phénomènes scientifiques. C’est cela qui m’intéresse, plutôt que cette référence historique à la question cinétique, car je crois que mon travail n’est pas uniquement lié à ça. Cette série de peintures revient à un schéma très clair, assez dur, très binaire, des sections découpées, des répétitions. Elle tente de créer une sorte de montage similaire à celui du film, ou de donner un peu de ces possibilités au tableau, de le découper, de répéter une partie, d’avoir des sections, des séquences. Voilà ce qui m’intéressait dans cet espace aujourd’hui.
Le motif ondulatoire, de nouveau présent ici, est récurrent dans votre travail. En quoi est-il si important pour vous ?
Je ne sais pas s’il est très important pour moi, mais il est récurrent en effet. Je l’ai utilisé pour la première fois dans une installation au Centre d’art contemporain de Genève, où ce motif était dessiné au sol, avec une barrière plantée au centre. À partir de là, il a été réutilisé pour réaliser des tableaux. Je m’intéressais à ce passage du sol au tableau, puis du tableau à une autre situation spatiale qui pourrait exister. D’autres motifs ont eux aussi connu des retournements ; c’est une manière de les tester dans différentes situations.
Au départ, c’est souvent pour des questions de qualité visuelle, une sorte d’efficacité, mais, par la suite, une sorte d’autonomie se crée autour d’eux, et le jeu consiste à l’employer et la développer. Cette ondulation du châssis et du motif pousse ici le shaped canvas [tableau découpé] dans une situation un peu hystérique, quelque chose où les qualificatifs ne seraient plus tellement liés à la peinture. J’avais envie d’une confrontation avec le soleil, et l’ondulation amène quelque chose lié à l’air, au drapeau, à un mouvement. Finalement, elle produit une rythmique. On a là facilement en tête des images d’Étienne-Jules Marey : il y a un peu de ces représentations qui produisent également des ambiances.
jusqu’au 30 avril, galerie Praz-Delavallade, 28, rue Louise-Weiss, 75013 Paris, tél. 01 45 86 20 00
www.praz-delavallade.com, tlj sauf dimanche et lundi 11h-19h
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Paroles D’artiste - Philippe Decrauzat
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°323 du 16 avril 2010, avec le titre suivant : Paroles D’artiste - Philippe Decrauzat