Ses vastes peintures sont bien plus connues que sa pratique du collage. Pourtant cette dernière n’en est pas moins essentielle pour Erró. Le Centre Pompidou, à Paris, expose une centaine de ses collages dans les salles du cabinet d’Art graphique.
Comment situez-vous votre pratique du collage dans la logique de votre travail, et en regard de votre activité picturale ?
C’est la base. Je considère le collage comme l’original et la peinture comme la copie. Cela veut dire beaucoup de choses. C’est ce qui me donne l’inspiration et aussi ce qui me procure le plus grand plaisir. Avec le collage, je ne sais jamais où je vais et, quelquefois, ni ce que je fais. C’est comme si j’étais à demi éveillé. Avec la peinture, il y a des heures et des heures de travail, alors que le collage est d’une fluidité formidable. Cela va beaucoup plus vite. C’est une question parfois de dix minutes, quand un tableau prend un ou deux mois.
Vous avez étudié à l’École de la mosaïque de Ravenne, en Italie (1954-1956). Cela a-t-il eu sur vous une influence particulière, en termes de découpage de l’image notamment ?
Lorsque je suis arrivé dans cette école, on était en train de restaurer toutes les mosaïques de Ravenne. Elles avaient été posées sur les murs et les plafonds avec de la terre volcanique et de la chaux qui se sont consumées mutuellement et ont produit du sable. Tout était en train de tomber. J’ai donc eu la chance de participer à la restauration de l’église San Vitale et du baptistère des Ariens. C’était formidable de pouvoir être aussi près des mosaïques. J’ai également travaillé sur de la céramique byzantine ; or, les galettes employées pour cette technique proviennent de Murano, en Vénétie [Italie], où l’on fabrique 45 000 couleurs. Cela m’a beaucoup aidé dans mon approche de la chromie. Puis j’ai ensuite été inspiré par les contours noirs et les aplats de la bande dessinée ; je m’en sers un peu comme d’une mémoire, cela m’accompagne.
Dans vos collages, vous n’utilisez que des images venues de la presse. Pour quelles raisons ?
C’est tout ce qu’il y a, avec la bande dessinée également. Les photographies sont plus difficiles à trouver. Quand j’ai besoin d’un portrait, comme celui d’Olivier Messiaen que je viens de commencer par exemple, je suis obligé d’aller chercher chez des spécialistes, surtout pour les portraits du passé.
Où trouvez-vous vos sources ?
Dans mes tiroirs ! Il y a, dans mon atelier, une trentaine de tiroirs, et d’autres encore dans ma réserve à Pantin [Seine-Saint-Denis]. Je les ai remplis avec des images de différents pays. À l’intérieur, tout est classé par thèmes, mais il m’arrive de chercher un coucher de soleil et de tomber sur un ciel pluvieux ! Il y a aussi deux ou trois tiroirs que j’appelle « l’enfer », où sont cachées les images les plus dures, les choses les plus horribles que l’on puisse trouver. Quand je m’intéresse à la guerre en Irak, aux dictateurs ou aux sujets politiques, ce sont ceux-là que j’ouvre. Je sors tout et, ensuite, je ne sais pas ce qui se passe. Cela vient tout seul, la composition également. Tout cela est presque naturel, je réfléchis très peu en fait.
Le terme et l’idée de « mécanique » reviennent souvent dans votre travail. Vous avez intitulé Méca-make-up (1959-1960) l’une de vos séries de collages, vous avez rédigé 100 poèmes mécaniques ainsi qu’un manifeste titré Mecanismo (1962). Pourquoi cette récurrence ?
Tout cela a commencé lorsque j’ai eu la chance d’habiter place Maubert [à Paris], où se trouvaient des réserves de vieux journaux. J’y ai eu accès et y ai découvert la revue L’Usine nouvelle, que je trouvais être la plus intéressante. Cela m’a beaucoup inspiré à l’époque. Et les mots relatifs à la machine sont comme un fantasme pour moi, tout cela m’a fasciné. De plus, il y avait peu d’images à acheter à Paris à l’époque, sauf des vues de Notre-Dame, du Louvre ou de la tour Eiffel chez les bouquinistes. J’ai donc eu beaucoup de chance d’être à Maubert, car j’y ai récupéré des kilos de papier.
Votre travail a souvent adopté un contenu politique. À ce propos, diriez-vous que vous êtes un caricaturiste ?
Ce serait le plus beau compliment ! On exagère toujours un peu la nature, car c’est nécessaire. J’ai la chance que tout ça se passe dans un contexte complètement naturel. Je n’ai jamais appartenu à aucun parti ou groupe politique. On a essayé de me coller chez les trotskistes, les maoïstes, etc. mais je déteste les groupes. J’ai horreur de cette espèce de dictature. Tout mon travail est très ouvert.
ERRÓ, 50 ANS DE COLLAGES, jusqu’au 24 mai, Centre Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Catalogue, éd. Centre Pompidou, 168 p., 110 ill., ISBN 978-2-8442-6435-0, 30 euros
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Paroles d’artiste : Erró, 'Le collage est d’une fluidité formidable'
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°319 du 19 février 2010, avec le titre suivant : Paroles d’artiste : Erró, 'Le collage est d’une fluidité formidable'