En invitant Claire Le Restif à organiser une exposition à Istanbul, Akbank Sanat insiste sur la fécondité des échanges entre la France et la Turquie.
ISTANBUL - Tout comme l’économie du pays, la scène artistique turque a le vent en poupe, jouissant d’un dynamisme qui se traduit par une visibilité de ses artistes accentuée à l’étranger. Peu présents en France il y a encore quelques années, à l’exception de noms tel Sarkis, les artistes turcs ont progressivement effectué une percée remarquée dans l’Hexagone, avec en point d’orgue la Saison de la Turquie en France qui vient de s’achever. Mal gérée, la communication globale a toutefois terni l’événement. Les différentes manifestations des arts visuels contemporains, en particulier, sont apparues diluées, au détriment des artistes dont une vision d’ensemble aurait grandement accru la présence et donc l’impact.
Phénomène intéressant, cette nouvelle présence turque a eu pour corollaire la mise en place et/ou la consolidation d’échanges entre la Turquie et la France.
Le FRAC [Fonds régional d’art contemporain] Corse et IKSV – Istanbul Foundation for Culture and Art – ont ainsi organisé à Corte une exposition en commun, « Fantaisie et île », de même que des résidences croisées : les Français Gaël Peltier et Hakima El Djoudi ont séjourné deux mois à Istanbul pendant que Leyla Gediz et Can Altay se sont rendus en Corse. Un programme de résidence est en outre appelé à devenir pérenne, IKSV ayant récemment acquis un atelier à la Cité internationale des arts, à Paris, où des créateurs sont invités à séjourner pour des durées allant de six à douze mois.
D’autres structures se sont livrées au jeu des rendez-vous croisés.
À Ivry-sur-Seine, le Crédac a invité en novembre dernier le critique stambouliote Ali Akay à effectuer un accrochage dans ses murs, avec des travaux d’Ayse Erkmen, Fusün Onur et Seza Paker. C’est aujourd’hui Claire Le Restif, la directrice du centre d’art d’Ivry, qui est conviée à occuper les salles de Akbank Sanat, à Istanbul, dont Akay est l’un des deux conseillers artistiques.
Exploration du sol
Avec « The Garden of Forking Paths » (Le jardin aux sentiers qui bifurquent), Claire Le Restif a composé un accrochage tout en finesse fondé sur l’idée de territoire. Un territoire qui résiste, rétif à la perception ou à la définition immédiate ; aimant, à l’inverse, se perdre en circonvolutions labyrinthiques, en soubresauts ou accidents. L’histoire et la topographie d’Istanbul, ville stratifiée s’il en est, qui réserve des surprises tout en ignorant quasiment la ligne droite, n’ont sans doute pas manqué d’inspirer la commissaire.
Ainsi Jordi Colomer a-t-il produit pour l’occasion un nouveau film dans lequel une jeune fille juchée sur un toit de la ville du Bosphore, carte à la main, témoigne de son incompréhension (The Istanbul Map, 2010). Montée en une succession d’images saccadées qui lui insufflent un rythme chaotique, l’œuvre dresse avec simplicité et efficacité le constat d’une résistance du territoire à travers la sensation de perte.
La ville est également explorée par Guillaume Leblon, qui, à l’aide de cartes de visite d’hôtels, reconstitue la topographie des quartiers de certaines villes, avec tout ce que l’entreprise peut engendrer d’incompréhensions (Portrait Berlin, 2006, Portrait Istanbul, 2010).
Dans ce contexte, l’idée d’appropriation du terrain n’est pas loin : dans un film, Lara Almarcegui fait démonter, creuser, puis remonter à l’identique le sol d’un espace intérieur, sans que le but de l’opération soit clairement défini (« Exploring the Floor », Sala Moncada, 2003). Tandis que Colomer livre des clichés issus d’un cimetière chilien où les sépultures sont devenues autant de petites habitations, toutes différentes (Pozo Almonte, 2008).
Le territoire se donne aussi à comprendre à travers le glissement, comme lorsque Almarcegui relate le déplacement et la relocalisation dans une même aire de plusieurs maisons venues de divers quartiers de Wellington (Relocated Houses, Wellington, 2009).
Cette idée de circulation était présente dans l’accrochage « (Istanbul) Transit » récemment concocté par Ali Akay pour le Passage de Retz, à Paris, qui mélangeait là encore artistes français et turcs. Parmi eux figurait Claude Closky, qui fut exposé à Akbank Sanat l’année dernière. Paris-Istanbul : une nouvelle boucle ?
THE GARDEN OF FORKING PATHS, jusqu’au 8 mai, Akbank Sanat, Istiklal Caddesi N° 8, Beyoglu – Istanbul, Turquie, tél. 90 212 252 35 00, www.akbanksanat.com, tlj sauf dimanche-lundi 10h30-19h30.
Et aussi : FANTAISIE ET ÎLE, jusqu’au 31 mai, FRAC Corse, La Citadelle, Corte, tél. 04 95 46 22 18.
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Paris-Istanbul… en boucle
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaire : Claire Le Restif, directrice du Crédac
Nombre d’artistes : 3
Nombre d’œuvres : 10
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°324 du 30 avril 2010, avec le titre suivant : Paris-Istanbul… en boucle