De l’écriture à la radio, le parcours du nouveau délégué aux Arts plastiques Olivier Kaeppelin se démarque des CV habituels de l’administration culturelle. Une certaine image de la « force tranquille ».
Le nouveau délégué aux Arts plastiques Olivier Kaeppelin a le murmure prolixe. « On doit tendre l’oreille, même si chaque phrase est distincte », confirme son ami, l’écrivain Pierre Assouline. Dans un monde d’agités, ce chuchoteur tranche par son calme, la lenteur chevillée aux mots. Une lenteur et une prudence qui pourraient en faire un ventre mou ou un falot. Derrière sa léthargie presque proustienne, l’obstination perle. Olivier Kaeppelin est un homme de discrétion. « Sa force, c’est son apparente passivité. Il ne monte pas au front, mais n’abandonne pas », relève la galeriste parisienne Farideh Cadot. « Il est parfois très angoissé, mais d’une grande opiniâtreté. Il connaît les réseaux, les exigences de l’administration publique tout en ayant une ouverture sur les artistes », ajoute David Caméo, directeur de la Manufacture nationale de Sèvres. Homme de terrain, il préfère la cavalerie à l’intendance, tout en réprouvant les rapports à la hussarde. « L’art suprême de la guerre est de ne pas avoir à la faire », résume-t-il. Il s’est pourtant confronté à des lieux d’affrontements permanents, que ce soit l’espace politico-administratif ou la sphère médiatique. Il est d’ailleurs bien plus stratège que sa bonhomie ne le laisse penser. « Olivier ne laisse pas beaucoup d’espace à l’autre. L’espace, il faut le conquérir. Il faut être fort face à lui », remarque un proche.
De ses onze premières années d’enfance au Brésil, Olivier Kaeppelin a gardé le sens des métissages. Dans un élan de romantisme, il songe d’abord à faire médecine, puis bifurque vers la sociologie. En mai 68, il participe aux manifestations étudiantes avec, en bandoulière, des ambitions plus éthiques que politiques. Très vite, il écrit aussi. « Je m’étais dit que je ne ferai pas d’études de littérature, et finalement je me suis laissé prendre. Je crois que l’effervescence de la pensée théorique sur le littéraire m’a convaincu. Mais je n’aime pas lire théoriquement », rappelle celui qui se gorgeait alors de la beat generation. L’art surgit dans sa vie de manière impromptue, avec l’achat d’une sérigraphie de Peter Klasen aux Magasins Réunis. En 1975, il lance la revue Exit où artistes et poètes interviendront pendant quatre ans.
Sa plume de critique s’est surtout dédiée aux artistes français, avec une passion avérée pour Gérard Gasiorowski. « C’est un intellectuel dont la pensée est cursive, mais aussi sensible. Il ne portera pas des idées au-delà des limites de son cœur », remarque l’ancien président de Radio-France, Jean-Marie Cavada. « Il y a chez Kaeppelin un éloge de la fadeur. Il pense qu’un plat n’a pas à être épicé pour être bon. Il peut dénicher la poésie ou la sensualité chez des artistes plutôt fades », note un critique d’art. Même s’il se dit impressionné par le poète expressionniste Georg Trakl, son style est plutôt proche d’un Pierre-Jean Jouve, imperméable au sabir « branchouille ». « C’est un classique mis en orbite chez les modernes », rappelle Pierre Assouline. Sa méthode critique est celle de la non-méthode, une approche phénoménologique plus que théorique. « Je préfère proposer une lecture avec plusieurs éclairages, que l’on comprenne les choses à la dérobée, précise-t-il. Si je puise dans le registre du littéraire, le risque est d’éclairer l’œuvre à partir de ce qui me constitue. Je sais que je dois me méfier, me dire “attention, est-ce que je ne suis pas en train de repérer toujours le même genre de choses ?”. »
Un homme de mémoire
Lorsque le ministère de la Culture ouvre ses vannes aux universitaires, Olivier Kaeppelin rejoint la délégation aux Arts plastiques (DAP), en 1986, dans un premier temps pour la relance de l’édition d’art. Il gravit les échelons, de la réforme des enseignements à la direction de l’inspection générale. « J’aime la forme, que ce soit la forme concrète d’une œuvre ou d’une action. Je n’aime pas les hypothèses », précise l’intéressé. Il sera à l’origine de plusieurs centres dédiés à la jeune création. À la demande de Philippe Douste-Blazy, il organisera en 1997 une exposition à la Cité des arts, en préfiguration d’un centre d’art à Paris, l’ancêtre du Palais de Tokyo. « Il a voulu donner une visibilité à l’inspection en lançant l’idée des colloques pour construire une vie intellectuelle et qu’elle soit perceptible de l’extérieur. C’est aussi un homme de mémoire », remarque son ancienne collaboratrice, la critique d’art Anne Tronche. Après treize ans de ministère, il jette toutefois l’éponge. « J’ai quitté la DAP car il fallait prendre des décisions qui ne venaient pas. On ne peut pas sans arrêt dire “je pense qu’il serait bon de faire ça”. »
Il migre alors vers la radio, qu’il avait longtemps pratiquée avec les « Nuits magnétiques ». Laure Adler, directrice de France-Culture, en fait son bras droit, mais très vite leurs rapports tournent au vinaigre. « L’un réglait les choses par la concertation, l’autre par les insultes », note un ancien collaborateur. « Le poste de directeur adjoint est très exposé nerveusement. On en prend plein la gueule alors que les enjeux sont petits. Il y a de gros problèmes syndicaux. Quand il doit y aller, et dire non, Olivier hésite souvent. Il faut qu’il dise “non” et pas “peut-être” », observe Laure Adler. Jean-Marie Cavada en fait alors son conseiller, un placard doré.
Longtemps numéro deux de la DAP, Olivier Kaeppelin a depuis quelques semaines les galons de délégué aux Arts plastiques. La structure n’est plus celle qu’il avait laissée. La décentralisation et la déconcentration sont passées par là, les relations avec les directions régionales des Affaires culturelles se sont distendues. Enferré dans de petits fonctionnements personnels, l’outil manque d’un projet collectif. Sans déflorer ses idées, Olivier Kaeppelin souhaite redonner une place à l’initiative privée. « Le mélange de plusieurs paroles permettra d’avoir une scène vivace qui nous sortira de l’idée qu’il y a des arbitres d’élégance qui imposeraient ce que doit être la création à notre époque… J’ai toujours trouvé très étrange qu’on ne considère pas avec respect un expert de l’art parce qu’il est galeriste ou collectionneur et qu’un conservateur aurait, lui, un coefficient 4. » La question des enseignements – « Il faut que la reconnaissance de l’enseignement supérieur dans les écoles d’art soit inscrit dans le marbre » – et la relance des commandes publiques seront ses autres terrains d’action.
Certains voient dans son arrivée la dernière chance de la DAP. « Il n’a pas que le soutien de 5 à 10 % du milieu de l’art contre 90 %. Il peut aller au-delà des blocages », relève le galeriste parisien Éric Dupont. Sa tâche principale consistera à restaurer la confiance avec les artistes. La symbolique architecturale d’une DAP sans hall d’accueil révèle le fossé presque affectif entre les deux mondes. « Il n’arrive pas avec la figure du pouvoir qui a de grandes dents et qu’on aurait envie de déboulonner. Son rapport au temps est différent des autres », rappelle l’artiste Bruno Carbonnet. « C’est avant tout un poète, un homme de l’art. Il comprend comment les créateurs opèrent, les passages à vide aussi », relève l’artiste Philippe Cognée. Même si Olivier Kaeppelin offre une autre bande-son par rapport au voile du discours administratif, les artistes veulent un coup de grisou, sans toujours réussir à le formuler. Reste enfin à éclaircir le rôle de l’inspection générale de la création artistique. Gageons que les relations avec cette dernière ne manqueront pas de piment...
1949 Naissance à Rio de Janeiro (Brésil). 1986 Chargé de mission à la délégation aux Arts plastiques. 1987 Inspecteur des enseignements artistiques. 1990 Inspecteur de la création artistique. 1993 Inspecteur général de la création artistique. 1999 Directeur adjoint de France-Culture. 2004 Délégué aux Arts plastiques.
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Olivier Kaeppelin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°204 du 3 décembre 2004, avec le titre suivant : Olivier Kaeppelin