Pour sa deuxième exposition, la Fondation Francès affirme l’audace de ses partis pris
SENLIS (OISE) - Dès sa première exposition en septembre dernier, la Fondation Francès, à Senlis, annonçait son goût du risque par un titre choc. « Mort ou vif » présentait la série Meat de Dimitri Tsykalov en regard des œuvres de la collection Francès, dont la série Morgues d’Andres Serrano. Entre les kalachnikovs en bifteck de Tsykalov et les cadavres autopsiés de Serrano, l’expérience photographique commençait dans l’estomac (et pouvait aussi s’y terminer pour les âmes sensibles). Le doute sur le bien-fondé esthétique des choix des jeunes fondateurs et collectionneurs installés à Senlis s’épaississait à la lecture d’une note d’intention : « L’art est juste lorsqu’il est juste au-dessus de ce que nous tolérons […]. Lorsqu’il nous pousse aussi parfois à déglutir ou à vomir. »
Mais c’est surtout le désir de provoquer le dialogue qui anime ces passionnés du beau et de l’émouvant en art, une passion qu’Estelle Francès transmet elle-même au public dans ses visites guidées. Ainsi, quand la fondation renchérit dans l’hémoglobine avec l’exposition « Famille de sang » en accueillant la série de peintures de Michaël Matthys réalisée avec ses propres globules rouges, les a priori laissent soudain place à la contemplation absorbée d’une œuvre forte et franche. La série Royal Blood d’Erwin Olaf (collection Francès), qui donne la réplique aux grandes compositions du dessinateur belge, semble même lui servir de faire-valoir. La démarche de Matthys n’a en effet rien à voir avec la provocation par le trash, ici caricaturée par Olaf dans ses photographies mettant en scène la violence de la mort (de Diana à Marie-Antoinette) dans l’impassible esthétique de la photo de mode.
Cacher l’insoutenable
Ici, pas de ketchup mais du sang de bœuf tout d’abord, quand Matthys entreprend le portrait empathique de sa ville natale, Charleroi (La Ville rouge) : le fluide prélevé dans les abattoirs devait redonner vie à la cité belge et inaugurer la période rouge de l’artiste. Quoi de plus logique alors de peindre sa propre famille, la chair de sa chair, avec son sang ? Conscient des dérives interprétatives qu’il encourt, l’artiste parle de son choix avec prudence. Il annonce la fin du projet ; il a déjà cessé les prises de sang. La matière n’est pas anodine, elle manifeste sa puissance symbolique dès l’atelier où elle insuffle parfois « un sentiment de toute puissance », confie-t-il, presque effrayé.
La substance, qui glisse (obligeant à travailler au sol), sèche et coagule, sert le trait expressif qui saisit les attitudes sur le vif et hachure violemment la feuille, comme pour cacher l’insoutenable. Car, comme toutes les réunions de famille, celles que peint Matthys dans ses grandes planches racontent la solitude dans le groupe, l’impossible communication avec les siens sous le poids des tabous. L’artiste, qui prend en charge le récit refoulé de la famille, se dévouerait-il au sacrifice ? En se « saignant » pour peindre, Matthys parle inévitablement de la place de l’artiste dans la société, et d’abord dans le noyau familial. L’ambiguïté du sang de Matthys sonne comme un memento mori dans une époque qui a évacué la mort de ses rituels. Cette piste métaphysique pourrait définir la cohérence de la collection Francès davantage que son goût pour le sanguinolent : le sang évoque la mort car il est un signe de vie.
Œuvres de la Fondation Francès et de la galerie Jacques Cerami (Charleroi).
Nombre : environ 30
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Michaël Matthys à la Fondation Francès, à Senlis
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €FAMILLE DE SANG, MICHAËL MATTHYS, jusqu’au 15 février, Fondation Francès, 27, rue Saint-Pierre, 60300 Senlis, www.fondationfrances.com, samedi 10h30-13h et 14h30-19h, du lundi au vendredi sur rendez-vous, contact@fondationfrances.com
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Michaël Matthys à la Fondation Francès, à Senlis