Davantage connu pour son mobilier, Marcel Breuer est pourtant un architecte moderniste réputé. L’exposition du Vitra Design Museum réhabilite ses édifices à travers une scénographie exemplaire.
Depuis toujours, une image colle à la peau de Marcel Breuer (né à Pécs, en Hongrie, en 1902) : celle de son fameux fauteuil club B3, plus connu sous le nom de « Wassily » – son destinataire originel n’étant autre que le peintre Wassily Kandinsky. Elle lui colle tant et si bien à la peau que, au fil des années, le Breuer designer a purement et simplement fini par éclipser le Breuer architecte, pourtant l’un des maîtres d’œuvre les plus actifs du XXe siècle.
Avec cette première rétrospective intitulée « Marcel Breuer, Design et Architecture », qui met justement en parallèle les deux disciplines, le Vitra Design Museum, à Weil-am-Rhein, en Allemagne, compte bien remettre les pendules à l’heure. La scénographie, si l’on respecte le parcours conseillé, s’emploie d’ailleurs à faire ce travail de réhabilitation.
Elle invite en effet le visiteur à d’abord grimper à l’étage pour plonger au cœur de l’activité d’architecte de Breuer. Elle pousse même le vice – ou la vertu, c’est selon – jusqu’à commencer la visite non par ses maisons modernistes, à taille humaine, mais par une série d’édifices spectaculaires, construits à partir des années 1950, notamment plusieurs bâtiments religieux tels l’abbaye Saint-John, à Collegeville (Minnesota), ou le couvent des sœurs de la Divine Providence, à Baldegg (Suisse).
En tout, une douzaine de projets sont ainsi disséqués, à travers photos, récentes ou d’époque, dessins, plans et maquettes. Avantage : ces dernières ont toutes été fabriquées à la même échelle – 1/50e –, ce qui permet de se rendre compte de la différence d’envergure des réalisations. Le Begrisch Hall, amphithéâtre planté sur le campus de la University Heights, à New York, paraît ainsi minuscule à côté de l’imposant magasin De Bijenkorf, à Rotterdam (pas le plus réussi), ou de la bibliothèque publique centrale d’Atlanta (Géorgie), achevée en 1980, quelques mois à peine avant la mort de Breuer, à New York, le 1er juillet 1981. Il est en outre plutôt cocasse d’observer ici la confrontation spatiale qui s’instaure entre certaines des maquettes de Breuer, telle l’église Saint-François-de-Sales, à Muskegon (Michigan), dont l’un des pignons est un merveilleux paraboloïde hyperbolique, et, de Frank Gehry, les volumes biscornus du musée lui-même, son premier bâtiment édifié en Europe, en 1989.
À voir cette sélection d’édifices publics, on comprend pourquoi Breuer a fait du béton son matériau fétiche. Il ne se lasse pas de vanter sa plasticité à travers de subtils jeux de textures qui accrochent la lumière, comme ces panneaux en pointe de diamant. Mais l’architecte est aussi un as des monolithes acrobatiques, en lévitation sur d’improbables porte-à-faux ou aux larges dégradés s’échappant vers le ciel. Ainsi l’une de ses œuvres les plus célèbres, le Whitney Museum, à New York, dont il se fera un plaisir d’expliquer le principe à Jackie Kennedy, lors d’une visite de chantier en 1965. La photo est dans le catalogue.
La promenade architecturale se poursuit, au rez-de-chaussée, avec une poignée de maisons individuelles, un genre dont Breuer est passé maître puisqu’il en a réalisé quelque 70 au cours de sa carrière. On y reconnaît le vocabulaire des tenants du modernisme, comme les toits plats ou les fenêtres en longueur. Des préceptes rigoureux qui n’empêchent pas l’auteur d’appliquer ses propres règles, lançant par exemple au moment d’esquisser la Small Metal House qu’un séjour est de bonne taille lorsque « six couples peuvent y danser à l’aise ». Preuve que l’on peut être rationaliste et avoir de l’humour.
Pionnier dans l’aluminium
La seconde partie de l’exposition, dédiée au mobilier, s’ouvre sur un constat : Breuer semble, à ses débuts, avoir été fortement influencé par l’œuvre de Gerrit Rietveld, membre du groupe De Stijl. Il y a en effet quelque chose de la chaise Rouge et Bleu du Néerlandais dans les meubles en bois de la collection « ti », dessinée par Breuer. Pas étonnant lorsqu’on sait que ladite assise fut présentée lors d’une exposition au Bauhaus de Weimar, en 1923, alors que le jeune Marcel y était encore étudiant. Mais Breuer se détachera peu à peu de son aîné, usant avec une ahurissante virtuosité de matériaux nouveaux : l’acier tubulaire, mais aussi le contreplaqué courbé et moulé ainsi que l’aluminium. Il sera par ailleurs l’un des pionniers pour la fabrication de mobilier dans ce dernier matériau, introduisant en particulier un piètement étonnant, le piètement traîneau, tel celui de la chaise WB 301 (1933).
Parmi la multitude de meubles ici exposés, on retrouve, évidemment, le fauteuil B3, véritable icône du Bauhaus, que Breuer a conçu alors qu’il n’avait pas même 23 ans. Une présentation astucieuse permet de saisir les différences entre trois exemplaires issues de productions distinctes. Sur une vitre placée devant les sièges, des cercles de couleur invitent à examiner précisément quel élément particulier a évolué au cours de la mise au point de ce fauteuil mythique, comme, par exemple, l’accroche du dossier. Même dispositif, dans une autre salle, où une vitre sépare deux chaises longues, l’une en contreplaqué moulé (Isokon, 1935), l’autre, la WB 346 (1932), en aluminium. Grâce à la transparence du verre, il est possible de superposer du regard les deux assises et constater ainsi que leur profil est rigoureusement identique. Bref, au vu de la quantité d’inventions développées par Marcel Breuer dans le mobilier, on se dit que cet homme est aussi à l’aise dans ce domaine qu’il vient de le démontrer en architecture. N’est-ce pas là, somme toute, le but recherché par le Vitra Design Museum ?
Jusqu’au 25 avril 2004, Vitra Design Museum, Charles-Eames-Strasse 1, Weil-am-Rhein, Allemagne, tél. 49 76 21 702 32 00, du mardi au dimanche 11h-18h, fermeture les 24, 25 et 31 décembre et le 1er janvier, www.design-museum.de. Catalogue, 448 pages, 450 illustrations, 59,90 euros, uniquement en allemand ou en anglais.
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Marcel Breuer, un designer architecte
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°183 du 19 décembre 2003, avec le titre suivant : Marcel Breuer, un designer architecte