Centre d'art

Découverte

Manfred Pernice, le langage des objets

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2014 - 707 mots

À Villeurbanne, l’artiste allemand peu connu en France déploie sa sculpture évolutive dans des espaces autant physiques que mentaux.

VILLEURBANNE - C’est la première fois qu’une institution française consacre à Manfred Pernice une exposition que l’on pourrait presque qualifier de rétrospective ou qui, en tout état de cause, dresse un vaste panorama de son travail. Actif depuis la fin des années 1980, l’artiste allemand  (né en 1963) est en effet relativement peu connu dans l’Hexagone et l’initiative bienvenue de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne vient non seulement compenser un oubli regrettable, mais surtout mettre en lumière à quel point l’artiste allemand a pu se montrer influent aux yeux de toute une jeune génération, qui depuis quelques années s’est de nouveau emparée d’une esthétique qualifiée, pour faire simple, de pauvre.

Car au-delà de la pauvreté ou de la modestie d’un vocabulaire formel, pour une bonne part composé d’objets trouvés recyclés dans des sculptures et installations souvent sous-tendues par l’exercice de l’accumulation, ce que pose Pernice dans son travail tient de l’interrogation du langage, qu’il soit clairement exprimé ou plus souterrainement enfoui dans les dédales de l’inconscient.
Frappe en effet de tous côtés la sensation d’un « déjà-vu », d’une familiarité de circonstances qu’impose bien entendu le matériau récupéré, mais que sa mise en situation dans des pièces souvent fortement architecturées inscrit dans des espaces propices à faire émerger des foules de réminiscences, plus ou moins conscientes. Comme dans les Cassette (2013), des tableaux-vitrines de petits formats dans lesquels des objets ramassés, loin d’être tous fixés sur le fond, peuvent se mouvoir avec une liberté qui, non seulement rend possible une recomposition de la pièce, mais introduit également une importante diversité lexicale propice à la divagation de l’esprit.

Objets et espaces mis en boîte
Une divagation qui partout est sous-tendue par une conception de l’objet comme étant inscrit dans un flux que ne stoppe pas l’insertion dans une œuvre ; permettant ainsi d’en questionner tant la nature que la fonction, en même temps que la circulation, l’oubli, le devenir potentiel ou la résistance. Un espace éclairant dans lequel, avec la complicité de son galeriste Alexander Schröder, de la galerie berlinoise Neu, l’artiste a rassemblé un peu plus d’une vingtaine de pièces conçues entre 1998 et 2010. Esthétiquement souvent proches d’une certaine forme de « bric-à-brac » étudié, aucune ne se laisse enfermer dans une lecture univoque. Lorsque l’une d’elle semble visuellement évoquer un établi posé sur des roulettes qui n’en sont pas, le regard attentif pourra plutôt y déceler une éventuelle réflexion sur la présence du motif circulaire dans l’espace urbain (Haldensleben Sat. 1, 2010). Tandis qu’un assemblage de panneaux de bois montant en une sorte de colonne un rien brinquebalante n’est pas sans questionner, si ce n’est remettre en cause, la monumentalité souvent associée à une idée de stabilité et de solidification, de l’image autant que du sens (Aufbau, 2010). Ce qui finalement revient à insérer la sculpture dans un circuit non fermé où est envisageable une évolution potentielle.
Ouvrant le parcours, Fiat V (2008) le démontre. Inspirée de l’architecture du Lingotto à Turin (usine mythique du constructeur automobile Fiat autour du toit de laquelle court une piste d’essais qui ne l’est pas moins), cette installation que doit traverser le visiteur en passant notamment par la plateforme qui la coiffe, est repensée chaque fois qu’elle est exposée et en est ici à sa cinquième version. De même que paraît être dans un moment d’attente ou une situation de transit un regroupement d’une dizaine d’œuvres intitulées Von der Stange (2011), à la forme évolutive à chaque présentation, qui sont ici enfermées dans un espace clos évoquant une zone de stockage alors que plusieurs d’entre elles sont enveloppées dans un emballage de transport.

Redoutablement logique, c’est lorsque reconstituant des espaces évoquant un parking (Tiefengarage, 2008) ou un intérieur domestique (Sonderausstellung, 2009) que Pernice achève d’interroger la multiplicité du langage de l’objet qui, toujours semble être à sa place, tout en imposant la sensation étrange d’être aussi un petit peu… à l’extérieur !

MANFRED PERNICE

Commissaire : Nathalie Ergino

Nombre d’œuvres : environ 60

MANFRED PERNICE. FIAT(LUX)

Jusqu’au 23 février, Institut d’art contemporain, 11, rue du Docteur Dolard, 69100 Villeurbanne, tél. 04 78 03 47 00, www.i-ac.eu, tlj sauf lundi-mardi 13h-19h.

Légende photo

Vue de l’exposition de Manfred Pernice, fiat(lux), à l'Institut d'Art Contemporain, Villeurbanne. © Photo : Blaise Adilon

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°406 du 31 janvier 2014, avec le titre suivant : Manfred Pernice, le langage des objets

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