Le Centre Pompidou présente actuellement une exposition en forme de manifeste,
qui démontre que le virtuel est désormais bien réel.
PARIS - L’exposition « Architecture non standard » au Centre Pompidou pose plusieurs questions : comment inscrire cette histoire de l’architecture dans l’Histoire ? comment démontrer qu’il ne s’agit pas d’une succession de ruptures mais d’un continuum ininterrompu ?
Justement, l’Histoire se déroule ici tel un ruban – qui, d’emblée, architecture l’espace de l’exposition – sur lequel s’inscrit une longue mémoire au moyen de photographies et dessins vintage tous traités en noir et blanc. Ruban organisé non pas linéairement mais par séquences : figures, objets mathématiques, lignes, empreintes, inflexions. Soit, de la part de Frédéric Migayrou, conservateur en chef de l’architecture et du design au Centre Pompidou et commissaire de l’exposition, une manière de mélanger les genres absolument réjouissante. Ici, l’intéressé n’hésite pas à confronter, mettre en résonance des gens et des événements dont on n’aurait peut-être jamais imaginé qu’ils puissent dialoguer. Certains y verront une manipulation idéologique, d’autres y trouveront l’occasion d’une intense excitation intellectuelle. Quoi qu’il en soit, et quels que soient les détours, les méandres, les raccourcis, les croisements de codes, les foisonnements et les arborescences, l’appareil critique est d’entrée de jeu posé. Et puis, au fil des 1 500 mètres carrés de l’exposition, clairement scénographiée par Laurence Fontaine, notamment à l’aide d’un mobilier tout de grâce et de légèreté spécialement créé pour l’occasion, se déploie une série de formes étranges et de propositions inhabituelles (dont nombre sont déjà édifiées, en cours d’édification ou en voie de l’être) au sein duquel le biomorphisme fait bon ménage avec la bande dessinée, le concret avec le virtuel, le déjà-vu avec le plus inattendu.
« Il y a ce qui relève du constat, de l’évidence. Le numérique qui investit l’architecture, l’emploi des logiciels de représentation qui se généralise. Ce qui fait débat, c’est le point de vue sur ce qui se passe, sur ce qui advient… », écrit Frédéric Migayrou dans le catalogue de l’exposition. Puis ajoute : « L’exposition choisit l’hypothèse forte. Elle oblige donc au débat. Elle réunit douze équipes internationales d’architectes qui ont développé depuis plusieurs années une recherche et une mise en application des outils numériques, de la computation, tout aussi bien pour la conception que pour la production ou la distribution de l’architecture. Conception, production, distribution, ce sont les frontières qui se dissolvent, les notions qui se métamorphosent, l’ordre de succession dans le temps qui se défait. Dès lors, l’architecture est saisie par des principes d’interrelations, de variabilité et de simultanéité à toutes les étapes de la mise en œuvre. »
Une exposition qui réveille le débat
Il y a, chez le conservateur, une évidente perversité dans la façon qu’il a de mettre en scène son propos (« Je me suis fait plaisir, c’est mon histoire obscure de la modernité »). Mais une perversité assumée, affichée. Car les questions qu’il pose au fil de cette exposition ne relèvent en rien du « métalangage de la technostructure », mais plutôt de la volonté de produire, ici et maintenant, de la pensée. Et une pensée au fond très mathématique. Peut-être parce que recherche mathématique et création architecturale participent de la même équation : spéculation, projection, poésie.
À peine ouverte, à peine vue, à peine digérée, l’exposition suscite déjà polémiques, louanges et critiques. Certains, parmi ceux qui ont soutenu Migayrou lorsqu’il « inventa » Archilab (1) , célébrant alors ce joyeux fourre-tout au sein duquel la recherche et l’exploration rayonnaient dans toutes les directions, lui reprochent aujourd’hui d’être devenu une sorte de « kapelmeister ». Un maître de chapelle donc, se détachant d’une analyse générationnelle au profit de l’institutionnalisation d’un club. Et limitant sa vision prospective à la seule pratique de l’outil informatique, comme si la mécanique logicielle prenait le pas sur la logique créative. Peut-être, mais rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, en tout cas, c’est que cette exposition ardue et intelligente, cultivée et savante, affirmée, réveille enfin le débat. Non plus celui qui agite les professionnels de la profession, mais bel et bien le débat intellectuel que Frédéric Migayrou excelle à animer.
Dernier paradoxe de cette exposition essentielle, le sentiment que sa nature extrêmement conceptuelle met en évidence la victoire du percept sur le concept.
(1) À Orléans, Rencontres internationales et annuelles d’architecture au cours desquelles sont exposés les projets novateurs d’architectes contemporains.
Jusqu’au 1er mars 2004, Centre Pompidou, Galerie sud, Place Georges-Pompidou, Paris, tél. 01 44 78 12 33, tlj sauf mardi, de 11h-21h, www.centrepompidou.fr. Catalogue, 224 p, illustrations couleur, 39,90 euros. ISBN 2-84426-231-7.
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L’invention de la prospective
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°184 du 9 janvier 2004, avec le titre suivant : L’invention de la prospective