Concevoir la ville comme un personnage actif à part entière, un lieu de fantasmes, un vecteur de création des courants d’avant-garde : tel est le propos de la nouvelle exposition du LaM à Villeneuve d’Ascq qui, à partir de trois capitales occidentales, New York, Paris et Berlin, explore la manière dont les artistes ont perçu et retranscrit la ville de l’entre-deux-guerres.
VILLENEUVE D’ASCQ - On y traverse New York, Berlin et Paris dans l’entre-deux-guerres, au gré de visions habitées, tourmentées ou parfois désolées. Dans le cadre de la manifestation « Lille 3000 », l’exposition du LaM à Villeneuve d’Ascq prend pour thème « la ville » au cours de cette période historique charnière, et en livre la perception et retranscription visuelle par les artistes. Si les espaces urbains font alors déjà largement partie du paysage, ces territoires connaissent une croissance accélérée accompagnée d’expériences nouvelles, tant dans la manière de les vivre que de les regarder. Or c’est précisément tout l’intérêt de cet accrochage que de se défaire de la ville comme seul cadre ou objet afin de la considérer, par-delà l’expérience concrète, comme un lieu de fantasmes ; un objet de spéculation donc, qui, en alimentant la curiosité des artistes, devient à la fois un motif et un outil aidant à la formation de certains principes des courants d’avant-gardes. En désignant la ville comme un personnage actif à part entière, et non plus seulement comme un contexte, la « Ville magique » s’arme d’une énergie que retranscrit bien le parcours, où, à côté de la peinture et de la photographie, une belle place est faite au cinéma. En témoigne d’entrée Manhatta (1921), le beau film muet de Charles Sheeler et Paul Strand qui relate la fascination pour la verticalité croissante du territoire new-yorkais, sa singularité géographique cernée par les eaux et l’énergie déployée par une activité de construction compulsive.
L’expérience verticale
New York, Paris, Berlin…, trois métropoles pour trois questionnements de fond qui font diversifier l’approche de la ville chez les artistes. Dans la première, c’est évidemment l’expérience verticale qui domine les propos, avec ce qu’elle engendre d’attrait et de séduction pour la ligne filant vers le ciel. Les exemples sont légion, depuis les visions de Georgia O’Keeffe (City Night, 1926) en passant par les gravures sombres et nerveuses d’Howard Cook ou les clichés de Wendell MacRae. Mais les lignes parfois tendent à s’emmêler, comme dans les visions un peu inquiètes de Joseph Stella (The Voice of the City of New York Interpreted : The Bridge, 1920-1922) ou de Louis Lozowick (New York, 1925) où domine alors la courbe. Très vite le territoire devient abstrait. Dans un cliché d’Edward Steichen, les lignes se font floues et vibrionnantes (View into 40th Street, 1933), tandis que dans la Sullivan Street, Abstraction (1924) de George Ault les tonalités sombres ne permettent de distinguer que quelques tracés et points de lumière.
Il est intéressant à ce stade de passer directement à la section consacrée à Paris où, fondamentalement différentes, les problématiques relatives à l’abstraction du territoire sont portées par des considérations sur le basculement vers l’inconscient. L’abstraction devient celle d’un état d’esprit donnant naissance à un théâtre urbain, propice à la recomposition mentale à la faveur du déploiement des perspectives surréalistes. Giorgio De Chirico et Victor Brauner en sont les maîtres, rejoints par Paul Delvaux et René Magritte notamment, tandis que dans leurs clichés Charles Lansiaux ou Brassaï insistent sur la disparition de la présence humaine.
Cette présence se retrouve au centre de l’expérience de Berlin, la Metropolis (1927) cinématographique de Fritz Lang pointant l’expérience de la gestion des masses. C’est précisément sur les nouveaux comportements humains induits par l’urbanisation et l’industrialisation que reposent les questionnements, lorsque la mécanisation et le fourmillement traduits dans les collages photographiques de Paul Citroen ou d’Umbo (Berlin, symphonie d’une grande ville, 1927) trahissent l’inquiétude et la dissolution des individualités données à voir par les tableaux de Karl Völker notamment. Devenue un collage d’images et d’expériences, la « Ville magique » n’en finit plus de faire tourner les têtes tout en déployant des imaginaires.
Jusqu’au 13 janvier 2013, LaM, Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut,
1, allée du Musée, 59650 Villeneuve d’Ascq, tél. 03 20 19 68 68, www.musee-lam.fr, tlj sauf lundi 10h-18h.
Catalogue : coéd. LaM/Gallimard, 232 p., 35 €.
- Commissariat : Sophie Lévy, Jeanne-Bathilde Lacourt, Marie-Amélie Senot
- Nombre d’artistes : environ 120
- Nombre d’œuvres : env. 200 peintures, dessins, collages, photographies et films
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Lille magique
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : Lille magique