PARIS - Tout à la fois de dimensions modestes, de conception très simple et d’une redoutable efficacité visuelle, deux œuvres tracent les principaux axes de l’exposition « Echoes », en même temps qu’elles s’imposent dans l’accrochage qui réunit trente-sept artistes de tous horizons au Centre culturel suisse, à Paris.
D’un côté, une photographie en noir et blanc d’Alighiero e Boetti, un autoportrait de l’artiste avec en mains un banjo dont la particularité est d’avoir deux manches, permettant ainsi de repenser non seulement l’esthétique de l’objet mais surtout son usage et sa finalité (Strumento musicale, 1970). De l’autre, John M. Armleder stupéfie encore avec son sens inné du geste élémentaire à effet visuel maximal : ici une guitare au mur dont le motif orange et noir, aux relents psychédéliques, est reporté sur un tableau carré qui la jouxte immédiatement (Zakk Wylde II, 2008).
Manipulation, réinvention
Muette, l’exposition s’intéresse à de possibles liens entretenus entre musique et arts visuels, où plus exactement à une « idée » de la musique, dont la conception au sens large soumise à la sagacité des artistes n’est pas avare en décalages de toutes sortes. Ainsi l’une des directions empruntées par « Echoes » suit-elle l’idée de manipulation ou d’extrapolation des objets de création ou de diffusion sonore. Manipulation rime avec réinvention, comme lorsque la guitare de Valentin Carron est devenue carrée (Square Guitar, 2001), ou que la baguette du batteur devient un objet en cristal semblant au bord de la rupture (Vincent Kohler, Baguette, 2007). Mais la manipulation revient aussi à se concentrer sur un objet afin d’en perturber l’essence. Ainsi des délicieux transistors d’Isa Genzken, devenus de timides blocs de béton d’où s’étirent des antennes (Weltempfänger, 1992), ou des petites maquettes de Saâdane Afif dont la forme s’amuse d’une ambiguïté entre architecture et sound systems (Babel, 2010). Quant à Dominique Blais, s’il travaille encore avec le concret de la réalité sonore, c’est pour mieux l’enfermer dans des blocs de béton… et le rendre inaudible (Concrete Soundproof, 2010).
S’ouvrir à d’autres champs
La manipulation s’apparente encore, chez certains, à l’interrogation des attitudes propres au champ musical. À ce jeu-là, Christian Marclay fait mouche avec une série d’affiches pour un concert fictif, le même jour à la même heure à Genève, mais qui toutes adoptent des apparences différentes (série False Advertising, 1994). En face, les portraits déformés de Dawn Mellor (un genre vu des dizaines de fois) font pâle figure, de même que les personnages trop maniérés et bien peu originaux d’Abetz & Drescher. L’un des grands intérêts de cette exposition est d’envisager, en outre, un glissement pictural de l’idée de musique, qui produit parfois des résultats ébouriffants, comme avec Armleder on l’a vu. Un grand tableau en diptyque de Francis Baudevin, par exemple, déploie une composition abstraite très colorée, inspirée par des pochettes de disque devenues parfaitement méconnaissables (Sans titre, 2010). Là réside l’intérêt du travail, qui, grâce à ce processus de glissement parvient à faire oublier son domaine d’origine et à s’ouvrir à d’autres champs possibles. Tout comme le font, en sens inverse, les belles galettes en résine aux couleurs mouvantes de Pierre Vadi, dont la forme évoque le vinyle mais qui ne sont que des moulages de disques de meuleuse (Zéropolis, 2009) ! Robin Rhode, lui, s’essaye dans un film à la pratique de l’air guitar face à un mur progressivement dessiné (Untitled, Air Guitar, 2005). Un bémol de taille marque toutefois cet accrochage tonique car, une nouvelle fois, l’absence de cartels en contrarie fortement la lecture. On ne répètera jamais assez que la chasse au cartel, qui semble être devenue une mode pour lutter contre ce qui serait subitement devenu une pollution visuelle auprès des œuvres, constitue à l’inverse une véritable entrave à la fluidité des expositions. Le plan distribué ici, numéroté en suivant l’ordre alphabétique des artistes, est absolument illisible. Le public peine – c’est un euphémisme – à s’y retrouver, et passe plus de temps à tenter d’identifier les références de ce qu’il a sous les yeux plutôt qu’à le regarder : une épreuve et un véritable non-sens !
Commissariat : Jean-Paul Felley et Olivier Kaeser, codirecteurs du Centre culturel suisse
Nombre d’artistes : 37
Nombre d’œuvres : 86
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 10 avril, Centre culturel suisse, 32-38, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, tél. 01 42 71 44 50, www.ccsparis.com tlj sauf lundi 13h-19h
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°341 du 18 février 2011, avec le titre suivant : Let’s play !