Art contemporain

L’étoffe du rêve

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 26 octobre 2021 - 593 mots

Le Fresnoy -  Roderick Norman est chercheur en onirogénétique. L’objet de cette discipline dont il est l’inventeur est d’entrer dans les rêves d’une personne via l’analyse de son squelette.

Avec elle, la génétique entend bien explorer l’une des dernières terres vierges de la recherche en sondant l’activité humaine la plus insaisissable et la plus mystérieuse qui soit. Le scientifique est un personnage de fiction : il a été imaginé par Faye Formisano. L’artiste, chercheuse et designeuse textile, en a fait le protagoniste de They Dream in My Bones, qu’elle présente au Fresnoy dans « ... Par le rêve… », le 23e volet de la série d’expositions « Panorama » (jusqu’au 31 décembre 2021). À voir cette installation faite de voiles translucides, de dessins et d’un film en virtual reality (VR) tout en noir et blanc, on en vient d’ailleurs à se demander si elle n’a pas un peu soufflé à Olivier Kaeppelin, commissaire invité cette année, la thématique de l’exposition. Le rêve y tisse en effet un dense réseau de références littéraires et cinématographiques, et ouvre un dédale de questions sur l’identité et ses frontières.They Dream in My Bones prend place dans une série de films, Insemnopedy, noués autour du sommeil, et dont le premier volet travaillait déjà l’articulation entre la science et le rêve. Adaptation du Frankenstein de Mary Shelley, The Dream of Victor F. (2019) puisait dans la grammaire du cinéma muet et surréaliste pour saisir le vertige du scientifique venant de donner vie à sa créature. Le motif du voile y liait une chaîne de signifiants, du fantôme au fantasme, du tissu à la peau, de la projection (psychologique) à l’écran (cinématographique). They Dream in My Bones commence en quelque sorte là où s’arrêtait ce premier opus. Le voile s’y fait à nouveau écran, au double sens du terme : il vient à la fois souligner l’opacité du rêve, rythmer sa progression labyrinthique, et cadrer l’espace à 360° qui se déploie à l’intérieur du casque de VR. Évidemment, Roderick Norman n’est pas sans évoquer Victor Frankenstein : il pourrait en être la version contemporaine, et le choix d’un film mêlant images de synthèse et prises de vue réelles viendrait en souligner la contemporanéité. Via une série de références discrètes, They Dream in My Bones convoque toutefois une autre version littéraire du double : l’Orlando de Virginia Woolf, personnage au genre indéterminé, que le sommeil métamorphose tour à tour en homme et en femme. « Combien de rêves gisent en moi ? Combien de genres gisent en moi ? », répète ainsi la voix off du film. « J’étais un homme et une femme avant de naître. J’étais une pikaia, une bactérie. Dès lors, combien d’espèces gisent en moi ? » Selon la formule choisie par Olivier Kaeppelin, c’est donc « par le rêve », comme on dirait « par la route, ou par le train », que Faye Formisano approche l’un des sujets les plus discutés du moment : la transidentité. Ce faisant, elle s’inscrit en plein dans le sillon repéré par le commissaire d’exposition, et qui ferait de l’activité onirique un moyen pour les artistes de penser le monde « contre les tropismes de l’époque ». Même s’il est parfois encore trop explicite, They Dream in My Bones est en cela exemplaire : de sa matière – le tissu, devenu voile et écran –, il fait un écheveau où se nouent ensemble les technologies et les imaginaires. De ce fait, il pourrait signaler l’émergence d’un néoromantisme qui, à l’instar du mouvement littéraire né dans le sillage des Lumières, trouverait dans le rêve, le fantastique et l’inconscient un contrepoint aux froids progrès de la science.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°748 du 1 novembre 2021, avec le titre suivant : L’étoffe du rêve

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