BRUXELLES / BELGIQUE
La cité née de la faïencerie fête ses 150 ans et autant d’années marquées par une scène artistique et culturelle active et contestataire.
Nul doute : La Louvière n’a pas le cachet de Bruges, de Liège ou de Mons. Du moins si l’on recherche un centre-ville au passé flamboyant. Son nom est davantage associé à l’entreprise de céramique Boch à l’origine de la création de la ville, il y a cent cinquante ans, et aux usines sidérurgiques Boël. L’arrivée par la voie ferrée n’engage d’ailleurs guère à la découvrir tant le visage de la gare centrale est ravinée et les alentours sont peu engageants. Installés sur le rond-point de la gare, les trois cylindres, surmontés chacun d’une sphère en acier poli de Pol Bury, semblent eux-mêmes quelque peu esseulés dans ce paysage en attente d’une reconfiguration depuis la démolition du site Boch. Ceux qui connaissent l’histoire artistique et culturelle de la ville savent cependant que la présence de cette sculpture dénommée Capteur du ciel est une invite à dépasser les premières impressions. Ce que confirme l’avancée à pied.
La cité industrielle mise à mal par la fermeture des usines n’affiche en son centre aucune morosité. Les demeures basses en brique ont pris des couleurs, les commerces affichent une certaine activité et, dans un périmètre de 700 m à peine, trois institutions de renommée internationale se concentrent : Keramis, le Centre de la gravure et de l’image imprimée et le Centre Daily-Bul & Co. Trois entités distinctes porteuses de talents. Keramis est l’unique centre d’art belge consacré à la céramique contemporaine. Inauguré en mai 2015, il s’adosse à l’ancienne halle des fours-bouteilles de l’usine Boch, seul vestige du site conservé, sur son patrimoine de faïencerie et sur une riche collection de céramiques contemporaines. Le Centre de gravure et de l’image imprimée est né quant à lui de la politique de décentralisation culturelle engagée par l’État belge dans les années 1980. Les expositions du Centre Daily-Bul & Co ramènent pour leur part aux éditions éponymes créées en 1957 par Pol Bury et André Balthazar dans leur ville natale. L’impertinence, l’irrévérence, l’humour de la revue et des éditions sont passés à la postérité, au même titre que ses contributeurs au premier rang desquels Achille Chavée, Pierre Alechinsky, Roland Breucker, Christian Dotremont, Jean-Pierre Folon ou Roland Topor, pour ne citer qu’eux.
Pendant longtemps, la contestation artistique a fait partie de l’ADN de la ville, au même titre que les contestations politiques et les grandes grèves et occupations d’usines qui jalonnent son histoire. C’est le 13 octobre 1935 qu’a été organisée à La Louvière la première exposition internationale du surréalisme en Belgique, sous la gouverne du groupe surréaliste Rupture cofondé un an auparavant par le poète, avocat et amateur d’art Achille Chavée. Dans un bâtiment de fortune rivalisaient Arp, Brauner, Chirico, Dalí, Ernst, Klee, Magritte, Mesens, Miró, Man Ray, Tanguy… L’exposition « Manifestation surréaliste » était née du refus d’une toile du peintre louviérois Robert Liard dans une exposition locale organisée par Les Amis de l’art, association née en 1908 sous l’impulsion de la peintre Anna Boch, fille du fondateur à La Louvière des céramiques Boch, et de Charles Catteau, chef du département décoration de l’usine. Les mots d’Achille Chavée alors frappaient fort : « La libération totale de l’homme par celle de la création poétique et de la transformation de la société par la révolution », prônait-il.
Les collections de la ville témoignent de ces périodes de joutes artistiques. In memoriam Mack Sennett de Magritte, acquise par Achille Chavée, est l’une de ses pièces les plus célèbres. Mise en scène d’une chemise de nuit suspendue dans une penderie et marquée de l’empreinte d’une poitrine qu’elle ne recouvre plus, la toile figure aujourd’hui dans l’exposition « Trésors cachés » organisée au Musée Ianchelevici pour les 150 ans de La Louvière. L’histoire de cette collection dresse un portrait en creux de la ville, comme le rappelle Benoît Goffin, son commissaire : « Très tôt, La Louvière a cherché à s’affirmer sur le plan régional à côté de villes à l’histoire plus riche. Cette collection, constituée à l’aide de personnalités culturelles et/ou politiques, l’a positionnée dès le début du XXe siècle comme le bastion culturel de la région du Hainaut. »
Cette histoire n’est pas close. « Chaque année, la municipalité alloue une subvention au centre Keramis et au Centre de la gravure et de l’image imprimée pour l’acquisition de nouvelles pièces », souligne Jacques Gobert, bourgmestre de La Louvière. Malgré des subsides contraints par une économie marquée par 20 % de chômage, elle n’a jamais failli. Métamorphose et écoulement du temps sont le thème donné par la Biennale ARTour à son édition 2019. La biennale d’art contemporain, programmée de mai à septembre à La Louvière et dans sa région, ne pouvait trouver meilleur titre. Un titre voulu au singulier par ses organisateurs pour exprimer la singularité d’une ville née de l’industrie et confrontée depuis quarante ans à sa dislocation progressive.
À la différence de Jean-François Boch, Raoul Warocqué (1870-1917) a assis sa fortune sur l’exploitation du charbon. À sa disparition en 1917, à l’âge de 47 ans, l’industriel, bourgmestre et philanthrope de Morlanwelz, où il s’était établi, a légué à l’État belge le domaine de Mariemont, son château et ses collections. Du château situé à six kilomètres de La Louvière, il ne reste plus rien, un incendie l’ayant ravagé en 1960. Demeurent la superbe propriété arborée, et les collections de Raoul Warocqué désormais conservées par le Musée royal de Mariemont élevé à l’emplacement du château. De la statue colossale de Cléopâtre aux Bourgeois de Calais de Rodin, l’éclectisme et l’appétence sans limite du collectionneur impressionnent. On suit avec délectation la vie et la passion de l’industriel pour l’antique, l’Égypte et la Chine, mais aussi pour les arts décoratifs et les fouilles archéologiques menées dans la région ou sur son propre domaine, où s’érigèrent trois autres châteaux, dont des peintures d’époque décrivent les diverses silhouettes et renommées. Du 9 février au 26 mai, exposition temporaire sur les textiles égyptiens du 1er millénaire.
MiLL, Musée IancheleviciLe musée se partage entre des sculptures de l’artiste roumain Idel Ianchelevici (1909-1994), présentées au rez-de-chaussée, et un étage supérieur réservé aux expositions. Du 22 mars au 29 septembre, « Trésors cachés » relate la riche histoire de la collection de la ville, de sa naissance en 1927 à 1969, année commémorative des 100 ans de La Louvière, qui vit Pol Bury, Pierre Alechinsky et Folon réaliser les affiches. Des néo-impressionnistes belges aux mouvements surréaliste Rupture et subversif du Daily-Bul, le panorama reflète sa dynamique.
Daily-Bul & CoLes archives d’André Balthazar sont le fondement de sa création en 2009, celles de Pol Bury sont à l’Imec, en France. Installé dans une maison de maître, il conserve, valorise les fonds et les activités du Daily-Bul et celles de ses collaborateurs, de Roland Breucker à Henry Lejeune, tandis que le jardin à l’arrière de la maison accueille des sculptures de Pol Bury. Ses collections consultables en ligne font l’objet de conférences, de publications et de trois expositions par an. « Les Incongrus de la collection » (25 janvier > 5 mai 2019) célèbrent ses dix ans.
Le Centre de la gravure et de l’image imprimée
Pour ses 30 ans, les 150 ans de La Louvière et la Biennale ARTour, l’institution propose sur ses trois niveaux l’exposition « Bientôt déjà hier » (30 mars > 1er septembre 2019) construite à partir de son dernier achat de 50 autoportraits de Roman Opałka, réalisés de 1965 à sa mort en 2011. Le thème de la biennale sert de fil conducteur à la sélection d’œuvres de la collection riche de 13 500 pièces, dont une partie héritée de la Ville. Jusqu’au 3 mars, Thierry Lenoir, Daniel Nadaud et Frédéric Penelle chroniquent les méandres des temps présents.
centre Keramis
Du nom de l’ancienne faïencerie Boch, ces vastes espaces inaugurés en 2015 se déploient autour de la halle des fours-bouteilles, seul vestige du site de 22 ha. L’espace d’expositions permanent développe sur deux niveaux le patrimoine et les activités de l’entreprise, de sa création jusqu’à sa disparition en 2011, tandis qu’une aile au rez-de-chaussée expose par rotation des pièces de l’impressionnante collection d’œuvres d’artistes contemporains. Au menu des expositions temporaires : Hugo Meert et Sofi Van Saltbommel, d’avril à septembre, et la jeune Sixtine Jacquart, dernière résidente des lieux.
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Les trésors cachés de La Louvière
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°720 du 1 février 2019, avec le titre suivant : Les trésors cachés de La Louvière