L’exposition s’intitule « Platform ». On pense évidemment au livre de Michel Houellebecq, du moins pour ce qui est de sa version anglo-saxonne, mais il ne s’agit point là de l’histoire d’un quadragénaire dépressif et désabusé à la recherche de l’impossible bonheur, mais, par bonheur, de la « recherche des possibles contenus dans une intuition, une idée, un principe, un dessin… », comme l’écrit l’auteur, le designer Pierre Charpin, dans un texte introductif. Cet « ensemble de possibles » est notamment matérialisé par une série six tables basses. La plus petite mesure 35 cm de haut sur 80 cm de long et 61 cm de large. La plus grande : 35 cm x 160 cm x 87 cm. Toutes sont fabriquées dans un unique matériau : la tôle d’aluminium. Le piétement est formé d’une feuille de métal pliée. Le plateau se compose de trois parties distinctes : « J’ai travaillé sur l’idée de deux formes qui s’accostent et sur l’espace qu’elles génèrent en se rejoignant, explique Charpin. Ce qui m’intéresse, c’est l’interstice. » Les deux « formes » sont recouvertes de laques aux subtiles nuances : marron gris, vert menthe, violette, rouge framboise, bleu d’eau… L’« interstice », lui, est resté brut et a simplement été anodisé.
On sait, pour Charpin, l’importance du dessin, celle de l’acte même de dessiner. Le plus étonnant, à la vue de la série « Platform », est l’incroyable proximité qui existe entre le croquis originel et le produit fini. Le carton d’exposition représente d’ailleurs l’une de ces tables basses. Le trait y est simplifié à l’extrême. Il ressemble à un pictogramme tant il est limpide. Il évoque cette série d’affiches au graphisme minimaliste – formes géométriques et couleurs franches – que Jean Widmer a réalisées, entre 1969 et 1975, pour les expositions du Centre de création industrielle au pavillon de Marsan, à Paris. La typographie en moins. Si le dessin initial de Charpin est élémentaire, les particules de matière le sont itou. Juste ce qu’il faut. Mais cette justesse des matériaux est peut-être aussi à l’origine du léger sentiment de fragilité qui sourd de ses pièces. S’agit-il vraiment d’une « table basse », mobilier trivial et utilitaire, ou plutôt d’un objet de contemplation, à consommer avec modération ? On ne sait plus vraiment.
Les « possibles » explorés par Charpin se sont également concrétisés par trois miroirs muraux. Cette fois il ne s’agit plus de tôle d’aluminium, mais de tôle d’inox. En outre, ce sont non plus trois, mais deux parties, presque identiques, qui viennent se juxtaposer. L’une est polie miroir, donc réfléchissante, l’autre recouverte d’une laque de couleur. Selon la couleur justement, le reflet varie. Exemple : lorsque la surface est laquée jaune de cadmium, on ne distingue qu’une vague ombre de soi-même. Quand elle est noir profond, on s’y voit presque comme dans la partie réfléchissante. La couleur, on l’aura compris, est ici sujet à moult réflexions.
L’an passé, au moment du Salon du meuble de Milan, Pierre Charpin avait exposé une série d’objets, baptisés « Oggetti Lenti » (lire le JdA no 214, 29 avril 2005). Quoique d’excellente facture, la plupart de ces « objets lents » semblaient néanmoins encore pensés sur un mode de composition classique : un socle, une partie centrale et un couronnement. Composition chère à l’un des maîtres à penser de Charpin, Ettore Sottsass. A contrario, les différentes pièces de « Platform » s’affranchissent sans complexes de cette trilogie rigide, voire pesante. Elles ont la légèreté d’un château de cartes. Pierre Charpin aborde ici sans aucun doute un nouveau territoire. La possibilité d’une île ?
Jusqu’au 22 avril, Galerie Kreo, 22, rue Duchefdelaville, 75013 Paris, tél. 01 53 60 18 42, du mardi au samedi 14h-19h. Le miroir : 7 000 euros ; la table basse : de 8 000 à 11 000 euros, selon les dimensions.
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Les particules élémentaires
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°233 du 17 mars 2006, avec le titre suivant : Les particules élémentaires