Conçus pour favoriser une pratique populaire du sport, les stades se sont transformés afin de recevoir des compétitions internationales. Jusqu’à devenir de véritables monuments contemporains.
Des exploits de Kylian Mbappé au méga-concert du groupe Indochine en passant par la messe du pape François, les stades de l’Hexagone sont des lieux marquants de notre mémoire collective. Année olympique oblige, l’architecture des enceintes sportives est sous les feux de l’actualité culturelle, à travers un foisonnement d’expositions et de livres.Si les arènes antiques symbolisent les premiers jeux en public, le stade qui émerge en un siècle à peine est un marqueur du sport moderne. « Né dans l’entre-deux-guerres, cet équipement se déploie d’abord en de simples tribunes communales, pour devenir de grandes enceintes sportives, véritables composantes de la ville », résume Émilie Regnault, commissaire de l’exposition « Il était une fois les stades » à la Cité de l’architecture. En quelques décennies, leur nombre connaît une croissance exponentielle, de 163 terrains de grands jeux identifiés dans les années 1920, on en compte plus de 42 000 aujourd’hui en France. Pourtant ce patrimoine est peu identifié : seuls 122 édifices sont protégés au titre des monuments historiques ou labellisés par le Ministère de la culture.
Cet essor du stade moderne en France s’inscrit dans le courant hygiéniste de la fin du XIX° siècle, avec l’idée d’une pratique sportive accessible à tous et non plus réservée à l’élite. La loi du 27 janvier 1880 rend la gymnastique obligatoire dans les établissements scolaires. Puis la loi Cornudet du 14 mars 1919 incite toutes les communes de plus de 10 000 habitants à embellir l’espace public, notamment par la création de terrains de plein air et sportifs. Les villes se font alors bâtisseuses et gestionnaires en matière d’équipements sportifs. Enfin, le gouvernement du Front populaire (1936-1939) encourage encore cette politique. Les activités sportives et les loisirs doivent occuper les Français durant les nouveaux congés payés, le terrain de sport devenant même « le rival du sanatorium ou de l’hospice », selon Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État au sport. De grandes enceintes consacrées aux sports athlétiques sont édifiées par des municipalités de gauche, dont notamment le Parc des princes à Paris (1932), le Vélodrome de Marseille (1937) ou le stade Lescure à Bordeaux (1938), devenu ensuite stade Chaban-Delmas.Cette pratique démocratique du sport longtemps défendue par les pouvoirs publics explique probablement que la France ait « pris son temps », selon Émilie Regnault, pour se doter d’un grand stade national. « Notre souci est moins de créer des champions et de conduire sur le stade 22 acteurs devant 40 000 ou 100 000 spectateurs, que d’incliner la jeunesse de notre pays à aller régulièrement sur le stade, sur le terrain de jeux, à la piscine », expliquait Léo Lagrange dans les années 1930. Il faut donc attendre l’après-guerre pour que la France dispose d’équipements rivalisant avec ceux des pays voisins. En 1972, le nouveau Parc des Princes de l’architecte Roger Taillibert (1926-2019) comprend désormais 50 000 places. C’est alors le premier stade d’Europe doté d’un éclairage intégré au toit, et aucun des spectateurs n’est à plus de 45 mètres d’une ligne de touche. Les concessions avec la presse sportive (L’Auto et L’Équipe)étant arrivées à échéance, la Ville de Paris se tourne vers les Fédérations françaises de football et de rugby à XV. Un bail avec les nouveaux concessionnaires du Parc est signé le 25 mai 1972.
À partir des années 1980, on entre dans une nouvelle ère, celle des stades gigantesques, pour accueillir des manifestations de plus en plus imposantes, et plus seulement des compétitions sportives. Ces architectures deviennent de véritables « boîtes à spectacles » qui se substituent aux anciennes enceintes, celles-ci ne correspondant plus aux normes des instances sportives internationales. Les stades doivent s’adapter aux nouveaux usages et contraintes qui sont apparus, en termes de capacités d’accueil toujours plus grandes mais aussi d’espaces réservés pour les médias ou les VIP, et de normes de sécurité. La retransmission télévisée des compétitions entraîne aussi la nécessité de s’équiper de systèmes de sonorisation et d’éclairage toujours plus sophistiqués.En 1992, la sélection de la France pour l’organisation de la Coupe du monde de football en 1998 donne lieu à la construction du Stade de France, de 80 000 places, à Saint-Denis. Le projet en ellipse de Michel Macary, Aymeric Zublena, Michel Regembal et Claude Costantini est retenu parmi dix-neuf candidatures. « La simplicité du parti architectural ne doit pas faire oublier sa technicité », souligne Frank Delorme dans l’ouvrage Les sports en France, de l’Antiquité à nos jours. Les tribunes basses sont escamotables sur une quinzaine de mètres pour libérer la piste d’athlétisme. La toiture contient des dispositifs sophistiqués d’éclairage, de sonorisation, et de retransmission. « La dernière génération des enceintes sportives est pensée comme un lieu de vie dans lequel on peut passer toute une journée », ajoute Émilie Regnault. La commissaire de l’exposition à la Cité de l’architecture prend en exemple le stade conçu par Jean-Michel Wilmotte, en 2013, pour la ville de Nice, qui s’insère dans un quartier combinant immeubles de logements et zone de commerces.Mais à l’heure d’une construction bas carbone, l’avenir de ces méga-équipements est remis en cause. Leur entretien peut représenter un coût important, voire s’avérer très compliqué lorsque les résultats sportifs du club résident ne suivent pas. « Avec l’évolution des techniques de retransmission à domicile, envisager des stades de 100 000 places n’a plus tellement de sens », reconnaît d’ailleurs Émilie Regnault. Signe de cette évolution vers plus de sobriété, les JO de Paris 2024 n’ont pas donné lieu à la construction d’édifices spectaculaires dans l’Hexagone. Cet été, l’exploit sera à contempler avant tout sur la piste.
Des défis d’ingénierie
Déployée sur 300 m2, l’exposition à la Cité de l’architecture et du patrimoine réunit 180 pièces, maquettes, plans, dessins, coupures de journaux, dans un parcours thématique décliné en trois grandes parties : démocratiser, performer, mondialiser. Au-delà du modèle du temple grec, que l’on retrouve souvent avec le principe de la grande colonnade et de l’emmarchement (du stade de Marseille à celui de Bordeaux), l’architecture sportive ne se réduit pas à un style unique, mais se révèle en une pluralité de formes. Le stade s’avère aussi un défi pour les architectes en matière d’ingénierie et de performance technique. Des projections vidéo mettent en parallèle l’élan du geste de l’athlète avec la dynamique des lignes des grands stades, faisant un parallèle entre la recherche de l’exploit sportif et le défi technique et architectural. Issus des collections de la Cité de l’architecture, les dessins, maquettes et photographies présentés dans le parcours sont complétés de trophées sportifs et de prêts exceptionnels du Musée national du sport à Nice.
« Il était une fois les stades »,
Cité de l’architecture et du patrimoine, 1 place du Trocadéro, Paris-16e, jusqu’au 16 septembre.
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Les nouveaux temples
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°774 du 1 avril 2024, avec le titre suivant : Les nouveaux temples