Simon Denny
Pavillon de la Nouvelle-Zélande
C’est son installation qui accueille les passagers débarquant de l’avion à l’aéroport de Venise – une première – et dont ils retrouveront un second volet à la Biblioteca Nazionale Marciana. Au savoir et à ceux qui le détiennent, dans une réflexion post-Snowden et à une époque où la Nouvelle-Zélande est considérée comme pionnière en matière de surveillance internationale, l’œuvre de Denny emprunte son titre (Secret Power) à l’ouvrage de Nick Hager paru voilà presque vingt ans. Elle pointe notamment, en nous invitant à en mesurer les conséquences, comment les détenteurs du pouvoir technologique sont en capacité de tenir la planète.
Philippe Piguet
Hito Steyerl
Pavillon allemand (expo collective)
Pour que la représentation artistique allemande s’interroge sur la globalisation, il lui aura fallu convier cinq artistes qui se sont engagés dans la conception d’une usine virtuelle pour repenser les récits politiques et générer un esprit de révolte. Parmi eux, la vidéaste Hito Steyerl a conçu Factory of the Sun, qui marie monde virtuel et images documentaires, convertissant des personnalités politiques bien tangibles en personnages virtuels. Les opus de cette artiste vus jusqu’ici ont fait découvrir un univers novateur et furieux, prolixe et volubile qui brasse les cartes de l’esthétique virtuelle.
Bénédicte Ramade
Adrian Ghenie
Pavillon de la Roumanie
Souvent courtisé par les artistes contemporains, Charles Darwin est le héros de l’exposition que développe Adrian Ghenie dans le pavillon roumain. Suivant l’architecture originale des lieux, l’artiste y a conçu trois chambres, chacune adossée à un thème spécifique : la tempête, musée du portrait et les dissonances de l’histoire. Préoccupé par la notion de survie, Ghenie rejoint celles du célèbre naturaliste tout en portant son propos sur les questions sociétales contemporaines. Les peintures de l’artiste opèrent alors comme autant de « tableaux » tout à la fois incubateurs et prescripteurs d’avenir.
Ph. P.
BGL
Pavillon canadien
BGL pour Bilodeau, Giguère et Laverdière, soit un trio d’artistes de Québec qui a pris l’habitude de secouer le cocotier de son public, ce qui ne manquera pas d’arriver avec leur Canadissimo. Derrière cette enseigne maximaliste, le travestissement tant en façade (avec des échafaudages) qu’à l’intérieur du pavillon et de son architecture de 1958, est plutôt difficile à coloniser. Le visiteur découvre au fil d’un labyrinthe vernaculaire un dépanneur (petit commerce de proximité), une arrière-boutique-atelier, jusqu’à déboucher dans un patio. Un parcours initiatique qui convoque le sens de la dérision et le génie des lieux que les artistes ont eu à cœur d’instiller dans cette coquille vide et politique.
B. R.
Joan Jonas
Pavillon des USA
Figure culte de la performance et de l’art vidéo, Joan Jonas aura donc attendu d’avoir 78 ans pour participer à la Biennale de Venise. Malgré le côté rattrapage, l’artiste, ravie de cette opportunité, envahit le pavillon américain avec une installation spécialement créée pour l’occasion. Vidéos, dessins, objets et son participent à l’élaboration d’un monde singulier et poétique, comme il en est
de l’ouvrage Under the Glacier de l’écrivain islandais Halldór Laxness, publié dans les années 1960,
à partir duquel l’artiste a basé son travail ces dernières années et qui représente pour elle « un hommage à l’aspect spirituel de la nature ».
Philippe piguet
Maryam Jaffri
Pavillon belge (exposition collective)
Difficile de ne retenir qu’un artiste lorsque la proposition de ce pavillon belge la joue collectif sous l’impulsion de l’artiste Vincent Meessen. Le point commun entre ces artistes dont la plupart ne sont pas belges ? Mener des recherches de longue haleine sur le passé colonial des grandes puissances, sur l’empreinte laissée en Afrique. Jaffri, artiste d’origine pakistanaise installée à New York, s’est plongée dans des archives photographiques de l’indépendance de certains pays africains à partir desquels elle a enquêté. Elle expose sa sélection sur un mode comparatif troublant avec les images des mêmes événements retenus par les agences de presse et révèle ainsi des décalages signifiants.
Bénédicte Ramade
Filip Markiewicz
Pavillon du Luxembourg
Accoler le mot « paradis » au nom du Luxembourg dans l’intitulé d’une œuvre (Paradiso Lussemburgo) ne manque pas d’ironie. Si, dans l’esprit de Filip Markiewicz, il en est ainsi, cela relève surtout de l’intention de brosser comme un « portrait mental » du grand-duché, doublé d’une réflexion sur l’identité contemporaine, à considérer que celui-ci passe pour être une sorte de paradis en matière d’intégration. En forme de vaste théâtre total, la prestation de l’artiste, tout à la fois plasticien, vidéaste et performer, opère en révélateur, volontiers critique, de ces pluralités qui fondent les effets du mondialisme politique, économique et sociétal.
Ph. P.
Céleste Boursier-Mougenot
Pavillon français
Mélangeant avec la délicatesse qu’on lui connaît le monde naturel et celui de la technologie, Céleste Boursier-Mougenot attend ses visiteurs autant dans le pavillon français que dans les jardins vénitiens
[lire aussi p. 6]. Le projet Rêvolutions est habité de trois arbres dont la vitalité naturelle influe directement sur les déplacements physiques extérieurs (grâce à une machinerie complexe) de ces organismes normalement enracinés. Ceux-là, les sédentaires alentours, sont justement espionnés par l’artiste, et emplissent l’architecture de sons. Un jeu de réalités et d’influences qui nourrit un véritable rêve éveillé.
B. R.
Melik Ohanian
Pavillon arménien (exposition collective)
La participation de Melik Ohanian à l’exposition de groupe « Armenity », au monastère mékhitariste
sur l’île de San Lazzaro, organisée par l’Arménie et consacrée aux artistes de la diaspora arménienne
est l’occasion pour l’artiste de présenter une pièce en cours de réalisation depuis quelques années. Commandée par la ville de Genève, elle s’inscrit dans le cadre élargi d’une démarche qui joue des notions de territoires physiques et conceptuels, entre origine et destination, et vise à insérer des réalités les unes dans les autres. Une façon de dire un être au monde qui se détermine à l’aune de lieux et de temps différents et simultanés.
Ph. P.
Pamela Rosenkranz
Pavillon suisse
Sélectionnée, comme il en est toujours de la Suisse, par le jury des biennales de Pro Helvetia, Pamela Rosenkranz présente un ensemble d’œuvres qui en appellent tant à la sculpture qu’à la vidéo. Métaphore des modes de pensée de sa génération, fortement influencée par Internet, sa démarche est adossée à tout un lot de grilles de référence qui réfèrent à la politique, à l’histoire, à la technologie, à la philosophie ou à la culture pop. Son regard décalé porte sur des sujets liés à notre quotidien saturé d’images et d’informations. Critique acerbe du monde d’aujourd’hui et associations insolites déstabilisent le monde du spectateur.
Ph. P.
Irina Nakhova
Pavillon russe
Comme nombre de compétiteurs de la Biennale, l’histoire du pavillon érigé en 1914 et celles d’expositions passées, comme celle de la participation d’Ilya Kabakov en 1993 (lorsqu’il déserte les lieux pour ériger son propre pavillon rouge), se retrouvent au cœur du processus conceptuel de cette artiste tout juste sexagénaire. Pour l’occasion, l’architecture du Shchusev a été repeinte de vert, sa couleur d’origine, tandis que chaque pièce est colorée de manière interactive en lien avec les transformations sociales et culturelles. Tout est donc affaire de contexte pour cette artiste révélée au cours des années 1980 par la transformation de son appartement en environnements.
Bénédicte Ramade
Heimo Zobernig
Pavillon autrichien
C’est à un poids lourd de la scène autrichienne que revient cette année l’honneur de prendre ses quartiers d’été à la Biennale de Venise. Heimo Zobernig, 57 ans, peintre minimaliste, aime s’emparer des espaces, les soumettre à une analyse tant conceptuelle que perceptuelle. L’architecture de 1934 conçue par Josef Hoffmann et Robert Kramreiter sera l’écrin de ses investigations. Car Zobernig n’est pas un peintre de l’abstrait. Derrière ses œuvres a priori conventionnelles, il démonte les systèmes et les hiérarchies, les mécanismes du monde de l’art et celui de la Biennale en particulier. Un art bien plus bavard que son aspect parfois cistercien ne laissait penser.
B. R.
Sarkis
Pavillon turc
Passé maître dans l’art de la scénographie associant images, objets, lumière et son, Sarkis n’a de cesse de constituer des installations qui mêlent biographie, histoire et actualité et qui opèrent comme d’étonnants théâtres de mémoire. À Venise, Respiro – « souffle » en italien – détermine comme un topos fait de miroirs, de vitres, de vitraux et de néons colorés dans lequel le spectateur est invité à s’immerger en quête d’un point d’origine de la lumière, porté par une création musicale de Jacopo Baboni-Schilingi inspirée d’un dessin d’arc-en-ciel de l’artiste. Une façon de lier le passé et le présent de l’humanité par-delà toute considération géopolitique.
Philippe Piguet
Herman de Vries
Pavillon néerlandais
L’homme qui réfute les majuscules est une référence depuis 1975 en matière de réflexions critiques sur les relations entre culture et nature. Dans ce temple moderniste et limpide qu’est le pavillon érigé par Gerrit Rietveld en 1954, de vries importe son art de l’organique, du vivant et de ses intrications si complexes, s’intéressant au biotope vénitien qu’il a observé pendant de longues périodes pour ce projet. Il est d’ailleurs sorti de ces illustres murs épurés pour développer un projet sur l’île inhabitée de Lazzaretto Vecchio qu’un bateau rejoint régulièrement afin de permettre
au public de s’immerger dans cette natura mater.
B. R.
Laura Kalauz & Sofia Medici
Argentine (exposition collective)
Ce duo d’artistes a été sélectionné dans le pavillon latino-américain qui rassemble quatorze autres artistes dont les travaux portent sur quelques-unes des centaines de langues indigènes du continent sud-américain. Le Selk’nam, parlé par les Onas de Patagonie en Argentine, est désormais une langue morte. Cette population de nomades et chasseurs qui vivait en Terre de Feu a disparu, éteinte ou dissoute dans des unions avec d’autres ethnies. Les artistes ont travaillé une installation sonore tirée d’une performance théâtrale élaborée à partir de l’enregistrement de Lola Kiepja, chaman et dernière représentante de la culture Selk’nam, effectué en 1966 par Anne Chapman, une anthropologue franco-américaine.
Bénédicte Ramade
Danh Vo
Danemark
Danh Vo est définitivement dans la ligne de mire médiatique. Déjà invité prestigieux de la collection Pinault qu’il a redéployée avec subjectivité à la pointe de la douane, il occupe donc aussi le vaste pavillon danois en laissant planer un suspense épais sur son projet. Ce qu’il laisse circuler ? Un extrait de L’Exorciste (au langage particulièrement fleuri), film d’horreur de William Friedkin sorti en 1973, qui reste aujourd’hui un modèle du genre de l’épouvante. Que va faire cet artiste reconnu pour son art des sédiments historiques avec le récit d’une gamine possédée en proie à l’acharnement de deux prêtres exorcistes ? Au début de l’année, l’antenne anglaise de Marian Goodman
en a donné un aperçu fait de récits familiaux et de références religieuses. L’histoire n’est pas finie.
B. R.
Barthélémy Toguo
Urban Requiem
Altruisme et empathie constituent les deux vertus cardinales de la démarche de Barthélémy Toguo. Originaire du Cameroun, celui-ci vise à travers son œuvre à interpeller notre conscience face aux injustices, aux dérives et aux souffrances que connaît notre monde. L’installation Urban Requiem qu’il a conçue pour Venise est « une méditation sur nos destins contemporains », « un cri ». Elle prend forme dans la mise en jeu de tout un lot d’escabeaux sur lesquels sont placés de gros tampons grossièrement sculptés dans le bois dans un décor environnemental fait de l’image imprimée des puissants slogans que ceux-ci portent.
Philippe Piguet
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Les meilleurs artistes de la biennale de Venise 2015
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°680 du 1 juin 2015, avec le titre suivant : Les meilleurs artistes de la biennale de Venise 2015