Promoteur d’une démarche participative, l’architecte burkinabé Diébédo Francis Kéré est exposé actuellement au centre d’architecture Arc en rêve de Bordeaux.
BORDEAUX - Diébédo Francis Kéré affiche un étonnant palmarès : sa page d’information est sur le site Wikipédia, ses publications sont diffusées internationalement, enseignant à Harvard, il est invité à animer des ateliers dans les plus grandes métropoles et a reçu en 2004 le prestigieux prix Aga Khan. Pourtant, il a peu construit et son travail est à peine connu dans son propre pays : tel est le paradoxe de cet architecte dont l’histoire personnelle a profondément forgé sa détermination d’architecte : « Quand mon père m’a inscrit à l’école primaire, j’ai quitté le village pour aller vivre chez un oncle et j’ai travaillé dur dans le secteur de la construction. À l’âge de 8 ans, j’allais ramasser de lourdes pierres et je participais à la réparation de maisons détruites chaque année par les pluies. Je crois qu’alors a mûri en moi, l’idée de faire mieux un jour », explique-t-il sans ressentiment.
Kéré aura été l’un des rares jeunes adultes de son village à avoir accès à l’enseignement. Remarqué pour son sérieux, il obtient une bourse pour se rendre à Berlin afin de suivre un stage de développement de projets. Il mettra cet éloignement à profit, en passant son baccalauréat à l’aide de cours du soir, jusqu’à intégrer par la suite l’Université technique de Berlin et devenir un architecte, aujourd’hui installé dans la capitale allemande.
« Des briques pour l’école de Gando »
Francis Kéré est né en 1965 dans les plaines du sud du Burkina Faso. Situé dans la zone du Sahel, sans ouverture sur la mer, le pays ne possède ni pétrole, ni diamants mais il a cette terre rouge. Un matériau que Kéré va rendre performant après quelques transformations et qu’il utilise pour produire des effets remarquables.
Alors qu’il est encore étudiant, il crée en 1999 l’association « Des briques pour l’école de Gando » (Schulbausteine für Gando), son village natal. L’objectif est de récolter des fonds pour y construire des équipements. C’est ainsi que naîtra l’école primaire de Gando, laquelle sera suivie d’une école secondaire, de logements pour enseignants et d’une bibliothèque ; tandis qu’un centre coopératif pour les femmes est en train de voir le jour. Apparemment rudimentaires, les projets n’en sont pas moins inventifs et d’une grande qualité esthétique. Leur portée dépasse largement les frontières du continent africain.
Bien qu’adaptée au contexte burkinabé, la démarche participative développée par Francis Kéré n’est pas sans rappeler celle d’un Patrick Bouchain en France : les constructions ont été réalisées par les villageois saisissant l’occasion pour apprendre à bâtir. De plus, ce sont les techniques et les matériaux traditionnels, disponibles sur place, qui sont utilisés, notamment les briques en terre crue fabriquées sur site auxquelles on adjoint 8 % de ciment.
Entre Afrique et Occident
Ne dérogeant pas à l’esprit prospectif qui le guide, le centre d’architecture Arc en rêve présente la première exposition monographique de l’architecte. Sous le titre « Bridging the gap » (soit « Jeter un pont »), l’événement rend hommage à l’engagement de Francis Kéré à travers un dispositif mettant en scène aussi bien le contexte de construction – porté par un récit cartographique – que des échantillons de matériaux et d’outils traditionnels. Quelques maquettes lévitent dans la pénombre de la grande galerie, tandis que des écrans proches du sol diffusent une lumière particulière tout en présentant des séquences photographiques de onze constructions, dont certaines au Mali. Dans l’avant-dernière salle, un film informe sur un projet en cours de livraison : le village-opéra de Laongo, destiné à accueillir une école d’art ainsi qu’un festival de théâtre, de cinéma et de marionnettes, réalisé en collaboration avec l’homme de théâtre allemand Christoph Schlingensief (décédé en 2010). Par la diffusion de son travail, Kéré vise à tisser un lien entre l’Afrique et l’Occident où, selon le contexte, seraient mises en exergue les qualités propres aux cultures locales. En Afrique, le rêve d’un modèle occidental – et les lobbys qui l’accompagnent – bien qu’inadapté au continent, court toujours tandis qu’en Europe, l’architecture cherche trop souvent une légitimation à travers un discours fallacieux sur le durable qu’on peine à retrouver dans la réification des projets.
« Si des initiatives locales sont assez fortes pour être reconnues, les mentalités pourront changer. J’ose espérer qu’il y aura bientôt autant d’architectes en Afrique qu’il y a de coureurs au Kenya ou en Éthiopie. La comparaison n’est pas infondée, c’est ce que je ressens après dix années de travail », explique l’architecte du « pays des hommes intègres » dont le combat rend hommage à cette modeste devise.
Jusqu’au 28 avril 2013, Arc en rêve centre d’architecture, 7 rue Ferrère, 33000 Bordeaux, tlj sauf lundi 11h-18h, tel. 05 56 52 78 36, http://www.arcenreve.com
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
À l’école du Burkina Faso
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°382 du 4 janvier 2013, avec le titre suivant : À l’école du Burkina Faso