PARIS
Après cinq ans de travaux, une nouvelle architecture pare le controversé et emblématique centre commercial. Le dernier des grands projets parisiens ne répare en rien les ratages des aménagements précédents.
PARIS - Fort des halles, Ventre de Paris, trou des halles, Canopée… les noms attribués à ce territoire parisien témoignent d’une histoire mouvementée. Dès 1850, la controverse émergeait avec la décision de l’empereur Napoléon III d’édifier un marché alimentaire en plein cœur de ce quartier populaire. « Ce sont de vastes parapluies qu’il me faut, rien de plus », déclarait-il en préalable à la construction. L’urbaniste Haussmann ajoutait : « Je veux du fer. » Ainsi étaient édifiés huit pavillons de verre et d’acier dessinés par l’architecte officiel Victor Baltard et relevant d’une grande aménité urbaine. Détruits dans les années 1970 et laissant un trou béant dont les plaies sont toujours vives, ils faisaient place au Forum des Halles inauguré en septembre 1979 par Jacques Chirac. Le Forum accueillait un centre commercial et un gigantesque échangeur de voyageurs (métro et RER), tous deux enterrés, sa partie émergeante étant abritée par des structures détestées : les parapluies de Willerval, du nom de leur concepteur. Trente ans plus tard, l’ensemble vétuste et souffrant de sérieuses lacunes sécuritaires faisait l’objet d’un premier concours international d’architecture lancé en 2004 sous la mandature du maire Bertrand Delanoë.
Une verrière grossière
Aujourd’hui, l’ensemble du site est l’objet d’un projet de restructuration, dont seule est terminée l’architecture extérieure, baptisée la Canopée. Inaugurée en grande pompe en avril par Anne Hidalgo, elle est composée de deux bâtiments abrités et reliés par un immense toit d’écailles de verre, aux formes courbes. Sa partie centrale protège l’ancien patio ayant vocation à devenir le nouveau cœur des Halles. « Cet espace constitue une transition entre le dessous et le dessus de la ville. Il s’agissait de scénariser une entrée dans Paris », explique Patrick Berger. Il avait par ailleurs déclaré lors du concours remporté en 2007 : « Telle une immense feuille ondoyant à la hauteur de la cime des arbres, une enveloppe légère, fluide et translucide abritera deux bâtiments pour des équipements publics et des commerces. » On ne sait si l’argument relève de la naïveté ou de l’incompétence, peu importe. Il reste que l’usager est surpris de découvrir en lieu et place de « l’abri naturel, protecteur et lumineux qu’offrent les cimes des arbres dans la forêt » une pesante et grossière structure métallique dorée, versant plutôt dans la métaphore animale – telle une raie manta – que dans la légèreté végétale. Quant à la qualité du verre jaunâtre qui compose les 18 000 plaques de couverture, elle rappelle les assiettes de cantine de notre enfance ou les parois de douche bon marché. Rien dans les détails ne détourne du sentiment général d’un rendez-vous loupé avec le quartier, eu égard par exemple à la dentition, cette fois couleur crème anglaise, posée en linéaire de façades et s’avérant être le système d’éclairage. Couvrant une superficie équivalente à la place des Vosges, la verrière reposant sur huit points d’appuis s’apparente à un ouvrage d’art et rappelle combien la grande échelle est difficile à maîtriser. Peu connu du grand public, Patrick Berger est aussi l’auteur à Paris des grandes serres du Parc André Citroën dans le 15e arrondissement. Les deux édicules ne se distinguent pas particulièrement par la finesse propre à ce type de construction. À l’ère de la dématérialisation, on se saurait toutefois reprocher à l’architecte de construire en lourdeur ce qui serait une prise de position architecturale affirmée par rapport à l’acte de construire.
Une exploitation commerciale fructueuse
Il y a simplement, qu’au-delà de sa laideur, la canopée semble avoir mobilisé toute l’énergie des concepteurs délaissant le traitement architectural du patio d’entrée sous terre, sinistre trou en béton et pourtant espace primordial du site. Car il se trouve que la Canopée coiffe une ville souterraine, constituée de commerces et de la gare la plus fréquentée d’Europe avec 800 000 voyageurs quotidiens dont 150 000 passent par la galerie commerçante, laquelle à l’occasion des transformations a été réadaptée selon les stratégies consuméristes. Ce lifting de 25 millions d’euros la hisse quand même au rang de troisième mail européen. Sans conteste le grand gagnant de l’affaire des Halles est le principal investisseur du projet, Unibail-Rodamco. L’exploitant du centre commercial depuis ses origines a obtenu la propriété des murs et il a vu sa surface commerciale augmentée, passant de 110 à 155 commerces, dont certaines grosses enseignes occupent les rez-de-chaussée des deux bâtiments alignés sous les parties sud et nord de la canopée. Dans les étages la présence d’une médiathèque, d’un conservatoire (tous deux préexistants), d’une maison des pratiques amateurs et d’un centre de hip-hop est, quant à eux, l’alibi culturel de l’opération s’élevant au total au milliard d’euros au lieu des 250 millions prévus initialement.
En 2004 les premières volontés de transformation du quartier avaient donné lieu à un concours international, dont était sorti vainqueur David Mangin, qui n’aménagera finalement que le jardin, toujours en chantier. Le jury avait pourtant plébiscité la proposition du Néerlandais Rem Koolhaas, qui dotait Paris d’un réel projet métropolitain faisant toujours défaut dans la capitale. L’erreur de Koolhaas avait été de détourner le passage des voyageurs dans le tunnel commercial. Face à ce vaste gâchis, on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qu’aurait pu être l’îlot avec ses huit pavillons réhabilités. Avant leur démolition, ils avaient connu pour leur défense une occupation sauvage : salon des antiquaires, jeux pour enfants, salles de répétition de théâtre pour la troupe Mouchkine. Du trou des halles au gouffre financier, le projet est le symbole parfait d’une ambition détournée.
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Le Ventre de Paris atteint d’indigestion
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Abonnez-vous dès 1 €FORUM DES HALLES : La Canopée des nouvelles Halles, Paris. © Photo : Robin Lobel
Le projet des Halles, vu dans son ensemble. Photo D.R.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°458 du 27 mai 2016, avec le titre suivant : Le Ventre de Paris atteint d’indigestion