À vouloir contenter tout le monde, l’exposition consacrée par le VIA aux femmes designers ne dit rien quant à la spécificité d’une approche féminine du design.
PARIS - Le design a-t-il un sexe ? De prime abord, la question peut prêter à sourire, bien qu’elle se pose aujourd’hui, avec récurrence et en termes quasi similaires, dans des domaines comme les arts plastiques, la littérature ou le cinéma. Alors « pourquoi pas dans le design ? », semble s’être dit le VIA (1) en organisant dans sa galerie, à Paris, « Design d’elles », une « exposition-hommage aux femmes designers », qui réunit, pour l’occasion, les productions d’une cinquantaine d’entre elles.
Pour éviter, sans doute, de froisser quelque susceptibilité, le VIA a pris soin d’opérer une sélection des plus larges, donc des moins téméraires : de jeunes inconnues, fraîchement diplômées, côtoient des mythes (Eileen Gray, Charlotte Perriand…), une grande dame (Andrée Putman), des demoiselles en vogue (Matali Crasset, Florence Doléac, Inga Sempé…) ; enfin, des tenantes de la décoration et de l’artisanat escortent des zélatrices du design industriel ou de la haute technologie. Concrètement : une belle démonstration de diplomatie, mais pas de choix clairs.
Or, si le fond est bancal, la forme aussi, au travers d’une scénographie pesante. Les pièces émergent à grand-peine d’une sorte de millefeuille de carton de deux mètres cinquante de haut. Sièges et luminaires sont enfouis, telles des fèves, entre les différents étages de la « pâtisserie ». Les plus mal loties sont évidemment les créations planes – tapis (Sonia Déléani), pan de satin (Dominique Picquier), chemin de table (Sophie Mallebranche)… –, irrémédiablement englouties, la cerise revenant à la pauvre Valérie Sfedj : sa Surface lumineuse, mince feuille constellée de points lumineux, est littéralement prise en sandwich entre deux tranches de carton, le tout derrière un canapé. Certains objets, enfin, sont tout bonnement invisibles. Tournés vers la rue, ils auraient pu, en principe, être appréciés de l’extérieur si de grands autocollants colorés ne venaient barrer la vitrine. Bref, non seulement l’exposition est pénible à regarder, mais elle ne développe aucun propos, se contentant d’aligner une ribambelle d’objets hétéroclites dont le seul point commun est, certes, d’avoir été dessinés par des femmes. Un point c’est tout.
Y a-t-il, ou non, une « approche féminine » du design ? À aucun moment, cette question de fond n’est explicitement posée. Pas plus dans le catalogue de l’exposition, dans lequel la majorité des entretiens recueillis pourraient invariablement avoir été tenus par des « designers mâles ». Sauf peut-être cette réplique d’Andrée Putman, qui, lorsqu’on lui demande : « Vous posez-vous la question de la durée de l’objet ? », s’en tire par une jolie pirouette : « Comment prévoir la durée d’une histoire d’amour ? »
Les femmes et le design ? Les pistes à explorer sont pourtant légion. Évoquant une montée en puissance des « lignes courbes », traduisez « rondeurs », nombre de designers masculins (Gaetano Pesce, Philippe Starck…) prédisent, régulièrement, que « le futur sera féminin, ou ne sera pas ». Peut-être aurait-il fallu les consulter. On peut aussi, par exemple, tenter de deviner quelle part de féminité Charlotte Perriand a insufflé à la fameuse Chaise longue, généralement attribuée au seul Le Corbusier. Analyser comment Hella Jongerius revisite les travaux d’aiguilles, comme le font, dans leur domaine et à leur façon, une Louise Bourgeois ou une Ghada Amer. Ou observer de quelle manière, quand elle interroge « les rites domestiques », Matali Crasset montre un attachement viscéral « aux choses de la vie ». Enfin, qui d’autre que l’Espagnole Ana Mir pousse, aujourd’hui, aussi loin une recherche sur l’intimité et la sexualité dans le design ? Lancer un thème un tant soit peu à la mode ne suffit pas à légitimer une exposition. Faute de lieux spécifiques dédiés au design, notamment à Paris, la rareté des présentations fait que la curiosité et les attentes sont fortes, à la hauteur de cette déception.
(1) Valorisation à l’innovation dans l’ameublement est l’antenne « recherche-design » de l’Union nationale des industries française de l’ameublement.
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Le sexe du design
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 21 mars, galerie du VIA, 33, avenue Daumesnil, 75012 Paris. tél. 01 46 28 11 11, lundi-vendredi 9h30-19h, samedi 10h30-19h, dimanche 11h-18h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°187 du 20 février 2004, avec le titre suivant : Le sexe du design