Art contemporain

Le Monumenta d'Anish Kapoor, géant !

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 23 mai 2011 - 691 mots

PARIS

Pour la 4e édition de la manifestation, Anish Kapoor s’empare du Grand Palais avec une installation à la fois monumentale et fragile, physique et mentale.

Anish Kapoor - Léviathan - Monumenta - Jour du vernissage - Grand Palais - 2011 © photo Ludovic Sanejouand
Anish Kapoor, Léviathan, Monumenta - Jour du vernissage au Grand Palais, 2011.
© Ludovic Sanejouand

PARIS - Évidemment, face à une telle œuvre installée dans un tel endroit, la première réaction des visiteurs est en général l’ébahissement, tant en raison de l’échelle du travail que de sa charge symbolique, et, ce qui ne gâche rien, de sa simplicité sous des atours faussement spectaculaires.

Spectaculaire, le Léviathan installé par Anish Kapoor sous la nef du Grand Palais, à Paris, à l’occasion de la quatrième édition de « Monumenta », l’est pourtant par sa… monumentalité et quelques données techniques : un volume de 72 000 m3 culminant à une hauteur de 37 mètres, pour la confection duquel fut nécessaire une surface de 24 000 m2 de PVC ! Car ce que ne voit pas immédiatement le spectateur pénétrant dans les lieux, mais qu’il découvre dans un second temps de sa visite, c’est la nature formelle de l’œuvre. Ce ballon démesuré qui paraît s’être glissé dans les volumes de l’édifice dont il a, sans ajouter de fioritures, adopté le plan en croix, flirte par endroits avec les limites. Tout se passe comme si la créature avait été conçue par son lieu d’accueil, engendrée par la nature même du site. Récurrente chez l’artiste, cette idée d’un art produit par son contexte n’est pas sans rappeler une autre œuvre marquante, confectionnée au Musée des beaux-arts de Nantes en 2007. L’installation Svayambh, ou « auto-générée », façonnait sa masse de cire rouge sang en se déplaçant entre les arcades du bâtiment contre lesquelles elle abandonnait un peu de matière à chaque passage.

Couleur fétiche de l’artiste britannique, ce rouge sombre tirant vers le violet est également celle du Léviathan, dont la référence biblique est finalement moins importante que l’idée d’engloutissement, ici mise en exergue. C’est bien une dimension charnelle qui s’impose dès l’entrée, ou plus exactement qui happe quiconque franchit la porte. Inondé par la couleur et immédiatement immergé dans les entrailles de la créature, le visiteur est soumis à un processus d’absorption qui le conduit dans un autre monde, vers un inconnu. D’autant plus que Kapoor a savamment su se jouer du principe présidant à la découverte du Grand Palais. Sa structure occulte la vision de l’architecture du bâtiment, la laissant deviner par le jeu des ombres de la charpente métallique que projette la lumière sur la toile.
Contenu dans un espace relativement restreint, le corps est irrémédiablement attiré par un au-delà. Cet ailleurs est fait de trois immenses concavités qui attisent le désir et la curiosité tout en demeurant physiquement inatteignables, ajoutant de la frustration à un sentiment de vulnérabilité. 

Une double expérience
Doué pour susciter chez le visiteur des sentiments équivoques, l’artiste entretient le mystère des origines autant que de la révélation, défiant ainsi la capacité de l’humain à contrôler la nature des choses et des événements auxquels il se frotte. L’idée d’entropie n’est pas loin, quand, accompagnant la naissance et l’émergence du monstre, une certaine fragilité émane de son aspect pataud et démesuré ; une fragilité qui pourrait bien signifier la fin du bâtiment si un coup portait atteinte à la monumentalité de son occupant.

Marqué par sa dimension monochrome qui renforce un effet contemplatif, la confrontation à l’espace ne relève plus de la seule expérience physique. L’imaginaire produit une expérience mentale qui, par-delà toute faculté de l’œuvre à livrer une narration, inscrit le Léviathan pourtant nommé dans le registre de la pure abstraction. C’est là l’un des talents de l’artiste que d’être en mesure de donner un aspect profondément concret et humain à son travail, tout en lui ouvrant des perspectives spirituelles et philosophiques.
Avec un talent consommé pour faire de la forme un outil de mise en espace, Anish Kapoor a exécuté là l’un de ces gestes qui, parce qu’ils façonnent
une œuvre, désignent un grand artiste.

ANISH KAPOOR, LÉVIATHAN

Jusqu’au 23 juin, Nef du Grand Palais, av. Winston-Churchill, 75008 Paris, tlj sauf mardi, lundi et mercredi 10h-19h, du jeudi au dimanche 11h-minuit, www.monumenta.com

Commissaire : Jean de Loisy

Volume : 72 000 m3

Surface de PVC : 24 000 m2

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°348 du 27 mai 2011, avec le titre suivant : Le Monumenta d'Anish Kapoor - Géant !

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