Art contemporain - Mécénat

Pommery

Le mécénat qui moisit

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 15 avril 2005 - 807 mots

Les caves du domaine Pommery sont-elles adaptées pour l’accueil des expositions d’art contemporain ?

REIMS - « C’est un peu une exposition SM.SM comme Stéphanie Moisdon (1), comme Sculptures et Mondes », avait écrit Paul-François Vranken, président du groupe Vranken-Pommery, dans sa présentation de l’exposition « Genesis Sculpture : expérience Pommery # 1 », organisée du 15 mai au 15 octobre 2004 dans le domaine champenois. Comme « Suintement et Moisissure », pourrions-nous ajouter. Car certaines œuvres ne sont pas sorties indemnes de la « fête sans fin entre le champagne et l’art contemporain ».
Les œuvres nichées dans les caves, où le taux d’hygrométrie avoisine les 80 %, n’ont pas toutes été affectées dans les mêmes proportions. Ghosts, défilé de fantômes d’Olaf Breuning, a sans doute essuyé les dégâts les plus importants. En revanche, un Crocodile en Biresin et verre de Carsten Höller a été remonté in extremis des caves en août pour être nettoyé. Les dommages subis par Trafic, de Daniel Firman, et Butt to Butt, de Bruce Nauman, deux pièces prêtées par le Fond national d’art contemporain (FNAC), apparaissent aussi réversibles. « On nous avait garanti que les conditions d’hygrométrie étaient stables, précise Claude Allemand-Cosneau, directrice du Fnac. C’était de l’inexpérience et une erreur d’appréciation. Nous avons tous été imprudents, mais les dommages étaient réparables, et Pommery assume les frais de restauration. C’est un épisode fâcheux, mais pas dramatique. » C’est donc un Bruce Nauman « présentable » qu’on retrouvera cet été au château de Chambord dans le cadre de l’exposition « Chassez le naturel ». De même le Trafic refait à neuf par Firman rejoindra-t-il en juin d’autres sculptures au Musée des beaux-arts de Lyon. Les institutions cherchent souvent à atténuer la gravité des dégradations. C’est le cas notamment du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Champagne-Ardenne, prêteur de La Joconde est dans les escaliers, pièce de Robert Filliou composée notamment d’un carton. « Le carton a été atteint, mais il s’agit d’un fac-similé. On ne prête le carton authentique que dans le cadre de certaines institutions muséales », précise le directeur du FRAC, François Quintin, ajoutant : « Il était difficile d’anticiper certaines conséquences ; l’année précédente, au moment de la canicule, les caves étaient plus sèches. Il est regrettable que les entreprises privées soient toujours montrées du doigt. Quand il y a eu l’exposition des 20 ans des FRAC, il y a eu plus de casse du fait du gigantisme de l’opération. »

« Une science du lieu »
La société champenoise n’a pas souhaité répondre à nos questions, nous renvoyant vers la commissaire de l’exposition, Stéphanie Moisdon. « Nous avions pris toutes les protections avec les services de Pommery. La plupart des artistes avaient vu les conditions atmosphériques lors de l’installation, indique-t-elle. Il y a des ajustements techniques à faire et une science du lieu à développer. On a pu inventorier les risques, en condamner certains, en aménager d’autres pour la suite. Une pièce suspendue ne craint rien par exemple. C’est le contact avec les murs et le croisement d’une source de lumière et de l’humidité qui provoque les dommages. » Ces déconvenues ont poussé Pommery et le nouveau commissaire, Jean-Yves Jouannais, à rectifier le tir pour la prochaine exposition « L’idiotie : Expérience Pommery # 2 » prévue du 4 juin au 3 novembre. « L’an dernier, il s’agissait plutôt de prêts. Cette année, nous avons commandé des œuvres en connaissance de cause, en fonction de la nature du lieu », observe Jean-Yves Jouannais. Échaudé par son expérience de l’an passé, Daniel Firman a toutefois rempilé après qu’il fut convenu que la nouvelle installation présentée serait soclée. De même, Pommery prendra doublement en charge la garde-robe des personnages de Virginie Barré. L’artiste Martin Kersels contourne à sa façon le problème en créant une pièce vouée à se désagréger. « La moisissure est partie intégrante de cette œuvre, déclare son galeriste parisien Georges-Philippe Vallois. Quant à l’installation de Gilles Barbier figurant dans l’exposition, il est prévu au contrat que tout ce qui est abîmé sera changé aux frais de Pommery. La société paye 10 000 euros pour la production et nous rembourse des dégâts éventuels causés par l’humidité à hauteur de cette somme. »
Quoi qu’il en soit, le souhait de présenter de l’art contemporain dans des lieux improbables ne semble pas forcément viable. « Pommery n’est pas un lieu “légitime” en termes de muséographie, et c’est la raison pour laquelle on stigmatise les dégâts que je ne minimise d’ailleurs en rien, défend Stéphanie Moisdon. Mais le risque zéro n’existe pas, même dans des contextes muséaux. On ne peut pas éviter cette marge d’aléas, car ce sont des lieux vivants, dont on ne contrôle pas tout. » Il y a cependant des limites à ne pas dépasser, dans le plus élémentaire respect des œuvres et des artistes.

(1) Commissaire de l’exposition.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°213 du 15 avril 2005, avec le titre suivant : Le mécénat qui moisit

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