Un tableau, découvert voici un an à Paris, serait une œuvre jamais répertoriée de Georges de La Tour (1593-1652), représentant Saint Jean-Baptiste dans le désert. De longues négociations pour une dation au profit des Musées de France ont échoué en raison d’un désaccord entre les propriétaires, tous membres d’une même famille. Ces derniers ont choisi de confier le tableau à Sotheby’s, qui le mettra en vente comme étant bien un La Tour.
PARIS - Le torse et les membres d’un jeune homme, les cheveux plaqués contre la tête, sont difficilement visibles à travers une épaisse couche de vernis sale et jauni. Cette toile, qui a été interdite de sortie du territoire français le 27 septembre, sera vendue, sans avoir été ni nettoyée ni restaurée, le 2 décembre à Monaco. Selon Laure de Beauvau-Craon, président de Sotheby’s France, son estimation sur le marché international aurait été supérieure à 25 millions de francs. Mais la maison de ventes britannique, à la fin du mois d’octobre, ne donnait pas d’estimation pour le seul marché français.
Pour Hugh Brigstocke, expert en tableaux anciens de Sotheby’s Londres, Saint Jean-Baptiste dans le désert serait le seul tableau nocturne, sans source de lumière artificielle, de Georges de La Tour. Selon Frédéric Gourd, expert en tableaux anciens de Sotheby’s Paris, les examens à la lumière infrarouge n’ont révélé aucune trace de la signature qu’apposait Georges de La Tour sur ses toiles, mais pas sur toutes. Les radiographies, pour leur part, n’ont montré aucun repentir particulier.
Une lettre de Jacques Toubon
Cette toile est-elle de Georges de La Tour seul ou, comme certains le pensent, le fruit d’un travail conjoint de l’artiste et de son fils Étienne ? Sotheby’s s’appuie sur la lettre adressée aux propriétaires du tableau par le ministre de la Culture Jacques Toubon, qui se fonde à son tour sur l’avis de la commission qui a refusé le certificat de sortie du territoire national. La lettre ne constitue pas une expertise, mais Sotheby’s – ce qui irrite au plus haut point certains hauts fonctionnaires français – a choisi de publier cette correspondance privée comme preuve d’authenticité : "Ce tableau est une œuvre extrêmement rare et très originale d’un de nos grands peintres français du XVIIe siècle", écrit le ministre.
"Les œuvres certaines de Georges de La Tour sont peu nombreuses et la moitié d’entre elles ont été acquises par des musées étrangers. Or, dans l’œuvre déjà rare de l’artiste, cette toile est unique par sa grande originalité qui la situe entre les œuvres dites "diurnes" et les œuvres dites "nocturnes". Son "caravagisme" conforte la thèse selon laquelle Georges de La Tour a fait le voyage de Rome. Elle est, par ailleurs, d’une grande beauté plastique ; c’est une image forte et émouvante, inondée par une lumière qui irradie de Saint-Jean et donne à l’ensemble une grande puissance d’évocation. La beauté et la rareté de cette œuvre la placent au rang des trésors nationaux. Son maintien sur le territoire français s’impose donc."
Interrogés, les experts de Sotheby’s ne s’inquiètent pas de l’absence de preuves documentaires autour de Saint Jean-Baptiste. "La preuve de l’authenticité ne peut qu’être stylistique. Il faut se rappeler que très peu de documents nous sont parvenus sur la vie de Georges de La Tour et que d’importants blancs existent dans sa biographie. Beaucoup de tableaux qui ont été récemment attribués à La Tour sont des œuvres qui viennent de nulle part, qui n’ont pas d’histoire", nous a indiqué Frédéric Gourd.
Les négociations avec la D.M.F. échouent
L’histoire récente du tableau est, en revanche, connue et tout à fait rocambolesque. Repêché parmi des objets destinés à être vendus à Drouot-Nord, Saint Jean-Baptiste dans le désert, qui faisait partie d’une succession en indivision, a été accroché, le 28 octobre 1993, à Drouot-Richelieu, sans estimation particulière, dans l’exposition d’une vente non cataloguée et sans expert, de l’étude Rabourdin et Choppin de Janvry.
Ce jour-là, l’expert en tableaux anciens Éric Turquin a estimé que la toile, pouvant être une œuvre de La Tour, devait être retirée de la vente et examinée de plus près. Or, les vendeurs n’étant pas d’accord entre eux, le Saint jauni est resté accroché toute la journée, faisant répandre dans Paris la rumeur qu’un chef-d’œuvre inconnu allait bientôt être vendu à Drouot. Pierre Rosenberg, alors chef du département des Peintures du Louvre, Michel Laclotte, alors président-directeur du musée, et Jean-Pierre Cuzin, conservateur, se sont rendus salle 3.
Alertés par leurs confrères français, des marchands américains ont même entrepris le voyage à Paris. Stupéfaits par l’intérêt suscité pour ce qu’ils avaient pris pour une "croûte", quatre des vendeurs ont décidé le maintien de la vente. Le cinquième n’étant pas d’accord, le tableau a finalement été retiré de la vente.
"C’était de la folie", se souvient Me Olivier Chopin de Janvry, "nous recevions des fax de New York et de Genève, et certains marchands ont même parlé d’un prix d’adjudication de 10 millions de francs ! Avant que la famille ne se décide, mon problème a été de savoir si je laissais vendre le tableau pour plusieurs millions de francs ou si je le retirais pour faire procéder à une expertise dont les conclusions n’étaient pas sûres."
Les vendeurs entament alors de longues négociations avec les conservateurs du Louvre et la direction des Musées de France, qui essaient d’obtenir Saint Jean-Baptiste dans le désert en dation. Ce n’est qu’après l’échec de ces discussions que les vendeurs se tournent vers Sotheby’s. Ceux-ci espèrent sans doute avoir plus de succès avec cette toile que n’en a eu Sotheby’s avec l’Immaculée Conception, restée invendue à Londres en juillet.
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Le La Tour nouveau arrive chez Sotheby’s
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : Le La Tour nouveau arrive chez Sotheby’s