ZURICH / SUISSE
Fin 2021, la ville de Zurich a inauguré son « nouveau » Kunsthaus, le plus grand musée d’art de Suisse, et son extension conçue par l’architecte britannique David Chipperfield.
C’est de nuit qu’il faut venir voir, à Zurich, la Heimplatz s’animer : sur cette place du haut de la ville, porte d’entrée d’un quartier universitaire cossu et arboré qui abrite déjà le fameux théâtre Schauspielhaus, l’étrange sculpture de la vidéaste suisse Pipilotti Rist, telle une fleur sur une tige télescopique habillée de couleurs pop, s’allume et projette lumières et images sur les façades des deux Kunsthaus. Deux Kunsthaus ? Depuis quelques mois, après un long – et coûteux – chantier débuté en 2015, c’est en effet bien un musée d’art dédoublé qu’il est donné de voir dans la plus grande métropole de Suisse alémanique.
Les deux bâtiments se dressent l’un en face de l’autre : d’un côté de la place, le « Altbau », bâtiment originel élevé entre 1910 et 1925 par l’architecte suisse Karl Moser dans le style de la Sécession viennoise, maintes fois agrandi (en 1958 et 1976) ; de l’autre, le « Neubau », l’extension conçue par l’atelier berlinois de l’architecte britannique David Chipperfield, habitué des concours d’architecture muséale, soit un cube compact à l’esthétique minimaliste inauguré au mois d’octobre 2021. Comment établir une cohérence visuelle entre deux œuvres architecturales aux styles bien différents qui se succèdent à un siècle d’intervalle ? Par le matériau, bien sûr, et grâce à l’utilisation d’une même pierre calcaire issue du Jura pour les façades des deux bâtiments. Comment les relier, par-delà une place où circulent voitures et tramways à un rythme effréné ? Par un souterrain – le même subterfuge adopté par l’extension du Kunstmuseum de Bâle, également en discussion dans le projet d’extension du Musée d’art et d’histoire à Genève.
À Zurich, c’est un long couloir de 70 m de longueur, au sol marbré et au plafond scandé par une installation de l’artiste islandais Ólafur Eliasson évoquant des icebergs renversés en marbre de Carrare, qui permet la circulation entre les deux bâtiments. Avec cette extension, Zurich a donné naissance au plus grand musée d’art de Suisse, qui ambitionne d’accueillir 400 000 visiteurs par an. L’institution muséale annonçait en décembre 2021 avoir déjà atteint les 370 000 visiteurs par an, contre les 226 000 habituellement reçus annuellement. C’est en surface que le Kunsthaus, désormais doté de près de 11 500 m2 de surface d’exposition, soit 5 000 m2 en plus, a gagné. Et, si ce gain de place profitera surtout au domaine des expositions temporaires, l’institution annonce également avoir aussi la possibilité de montrer plus d’objets de sa collection (+ 17 %).
Passé la première impression austère du bâtiment de Chipperfield, et une fois poussé la lourde porte d’entrée dorée qui n’a pas manqué de soulever la comparaison de l’extension avec un coffre-fort ou une banque à son inauguration, c’est la présence de la lumière qui frappe. L’immense hall d’accueil impose par la générosité de ses dimensions (destinées à recevoir des installations ou des performances), mais aussi par la chaleur de ses matériaux : c’est là que tout parallèle avec une institution bancaire prend fin. Dans ce nouveau temple de l’art, règne le béton, adouci par la présence du bois (notable dans le parquet des salles d’exposition), mais aussi le marbre, les finitions en étain des poignées de porte ou les rampes d’escaliers, et même le feutre qui habille les casiers du vestiaire. Autant les façades du bâtiment paraissent opaques pour le passant, autant l’intérieur semble être ouvert sur la ville – ménageant même côté nord une échappée visuelle sur un Garten der Kunst (jardin de sculptures).
La visite se poursuit aux deux étages supérieurs, ouverts par des coursives sur le grand hall et accessibles par un large escalier. C’est là que la majorité des expositions temporaires de la programmation 2022 prendront place (Yoko Ono, Federico Fellini ou Aristide Maillol). Musée d’art à la collection particulièrement riche en art helvétique des XIXe et XXe siècles (issue pour 80 % de dons et de legs de collectionneurs privés), le Kunsthaus de Zurich entend bien à présent miser sur l’art contemporain dans cette extension réservée à l’art d’après 1960. Les collections historiques seront toujours visibles dans le bâtiment Moser.
C’est aussi sur ces deux étages que le concept du nouveau Kunsthaus se dévoile. Car ce sont pas moins de trois collections privées, prêtées au musée pour une durée de vingt ans, qui sont présentées dans des salles qui leur sont réservées, selon un mode « américain », une première dans une institution publique suisse. La collection Gabrielle et Werner Merzbacher est un tour d’horizon des mouvements fauves et expressionnistes en 75 peintures, tandis que celle d’Hubert Looser présente une sélection de 70 œuvres d’arte povera, d’art minimal et d’expressionisme abstrait. Mais c’est sur la plus célèbre d’entre toutes, et la plus sulfureuse, que se concentrent les regards : les 170 œuvres (sur les 203 mises en prêt par la Fondation Bührle) de la collection du marchand d’armes germano-suisse Emil Bührle (1890-1956), évoluent entre impressionnistes (de beaux ensembles de Van Gogh, Monet ou Cézanne) et pionniers de l’art moderne (Picasso, Rouault, Soutine). Cet ensemble agit comme un « aimant sur le public », à la satisfaction du musée qui ambitionne, avec cette présentation, de « mettre Zurich directement derrière Paris » au rang de capitale de l’impressionnisme et du post-impressionnisme. Reste encore à parfaire la mise en contexte de cette collection (au sujet de laquelle des points d’interrogation subsistent, notamment en termes de provenance des œuvres), comme le réclament de nombreuses voix critiques, en particulier au sein de la salle de documentation prévue à cet effet. Le visiteur pourra alors pleinement savourer le plaisir de la visite.
The 2000 Sculpture, l’installation de l’artiste américain Walter De Maria (1935-2013), chantre de l’art minimal et du Land Art, est à admirer jusqu’au 20 février 2022 dans la grande salle d’exposition du bâtiment principal. Deux mille pièces géométriques en plâtre, peintes en blanc, sont posées au sol par rangées selon un rythme spécifique, sur une surface de 500 m2, ce qui en fait l’une des sculptures horizontales les plus vastes présentées en intérieur. Conçue spécifiquement par l’artiste pour le Kunsthaus en 1992, l’installation y est exposée dans son entièreté pour la troisième fois. Elle reprend les règles chères à l’artiste minimaliste : exploration des formes mathématiques basiques et de la lumière, recherche d’occupation de l’espace. Dans cette salle au long plafond lumineux, la lumière zénithale vient apporter une touche finale à cette installation en fonction de la météo ou de l’heure de la journée. Harald Szeemann, critique de l’œuvre de De Maria, évoquait, à propos de cette 2000 Sculpture, sa capacité à « être non un objet, mais un sujet qui envahit et imprègne l’espace autour de lui ».
Urs Fischer, "8 (Grundstein)" (2014)
Artiste phare de la scène artistique contemporaine suisse, représenté dans les grandes collections d’art privées du monde (tant à Luma Arles qu’à la Bourse de commerce de la collection Pinault), l’artiste d’origine zurichoise (né en 1973) a offert cette œuvre au Kunsthaus à la pose de la première pierre de l’extension, en novembre 2016. Exposée au second étage du bâtiment, la sculpture est une nature morte réalisée en bronze, faisant figurer avec ironie des légumes, dont une carotte géante, disposés sur un sofa.
Rudolf Koller,"La Poste du Gothard" (1873)
Ce tableau, l’un les plus populaires de l’art suisse représentant des aspects essentiels de la région des Alpes, a été légué au Kunsthaus dès 1898. Commandé par l’entrepreneur et pionnier du rail suisse, Alfred Escher, il illustre avec un traitement théâtral empreint de romantisme l’importance de la route du Saint-Gothard, axe de circulation nord-sud et voie commerciale que 70 000 voyageurs franchissaient chaque année, et ce quelques années seulement avant que le tunnel du Saint-Gothard ne soit percé.
Claude Monet, "Le Bassinaux nymphéas, le soir" (1916-1922)
En 1952, Emil Bührle, collectionneur et important mécène du Kunsthaus de Zurich, fait don d’une paire de tableaux de Claude Monet qu’il a acquis après un voyage à Giverny – trois ans après avoir déjà offert au musée une œuvre majeure d’Auguste Rodin, La Porte de l’enfer au musée. Ces deux immenses peintures (6 x 2 m) s’admirent dans une petite salle en arc de cercle spécialement aménagée dans la nouvelle extension.
Giovanni Segantini, "Pâturages alpestres" (1893-1894)
Un ensemble intéressant d’œuvres de l’artiste suisse-italien est conservé au Kunsthaus et exposé aux côtés d’autres maîtres du paysage suisse, Ferdinand Hodler ou Giovanni Giacometti. Représentant du mouvement symboliste, Segantini (1858-1899), qui s’est installé en 1886 dans la région alpine des Grisons, revitalise la peinture alpestre suisse. Ce panorama de grandes dimensions réalisé en plein air sur les hauts plateaux du col de la Maloja applique au motif traditionnel du pâtre et de son troupeau la modernité de la technique du divisionnisme.
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Le Kunsthaus de Zurich
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°751 du 1 février 2022, avec le titre suivant : Le Kunsthaus de Zurich