Chaque mois, Pierre Wat raconte un jour dans la vie d’un artiste, entremêlant document et fiction pour mieux donner à voir et à imaginer.
Hier, j’avais l’impression d’être dans l’impasse, lorsque quelque chose s’est produit, fortuitement. Être dans l’impasse n’est pas une sensation nouvelle, chez moi. C’est déjà ce que j’avais éprouvé, il y a trois ans, aux Beaux-Arts de Paris où je m’apprêtais à concourir pour le prix de Rome avec quelques camarades : il y avait là Vincent Bioulès, Michel Parmentier et Pierre Buraglio. Nous nous apprêtions à nous mettre au travail lorsque notre chef d’atelier, Raymond Legueult, est venu nous dire que les jeux étaient déjà faits, le prix serait donné en cette année 1963 à un élève de Souverbie qui avait échoué l’année précédente. On s’est tous regardés. D’abord, on s’est sentis coincés, et puis ça a été une libération formidable, on s’est mis à faire de la touille, à oser peindre comme on ne l’avait jamais fait, étant donné qu’on n’avait plus rien à perdre. J’ai retenu la leçon : à vouloir faire comme les autres, à courir derrière l’histoire de l’art, on est nulle part, on est perdu. C’est à ça que je songeais hier matin, en allant à l’atelier. Depuis le début de l’été, j’essaie, en réaction à ce sentiment de dispersion qui est le mien lorsque j’examine mes travaux de ces dernières années, de réduire au maximum à la fois le système de production de l’image et sa signification. Un procédé que l’on emploie chez moi, à Aubais, et dans tous les pays méditerranéens, pour blanchir les cuisines, m’a paru approprié. Une éponge trempée dans un seau de chaux bleue et appliquée systématiquement sur un mur blanc. Ce procédé d’empreintes adapté à une forme quelconque pressée sur une toile non tendue et non apprêtée pourrait, j’en suis convaincu, se révéler extrêmement productif. Trouver une forme quelconque revient à utiliser la première forme venue. J’ai donc dessiné dans une plaque de mousse de polyuréthane une forme approximative de palette que j’ai trempée dans la couleur liquide, puis j’ai pressé le tout sur la toile. Pour nettoyer la forme imprégnée de couleur, je l’ai trempée dans la Javel presque pure. L’autre matin, en la retirant de la Javel, la forme s’est déchirée en lambeaux. Je crois que je vais conserver la plus grosse forme. Elle me plaît parce que je ne l’ai pas choisie, c’est une forme de hasard, forme donnée par accident, aussi vraie que n’importe quelle autre. Aujourd’hui, j’ai commencé à l’utiliser sur des draps récupérés chez mes parents. Je crois que j’ai trouvé là quelque chose qui me convient, quelque chose qui me permet de faire la seule chose dont j’ai réellement envie : de la peinture. Et puis il y a l’usage de la toile non tendue. Quelle merveilleuse liberté ! Elle se plie, elle se froisse, elle reste souple et mobile, elle vit avec moi et moi avec elle. Je ne sais pas comment les autres vont réagir à cette manière de faire. Ça va étonner, c’est certain. On parlera peut-être de système, comme si j’avais pris une décision intellectuelle. Mais moi, je n’ai rien décidé, c’est ma manière de vivre, au quotidien, qui a engendré tout ça. Chaque jour, je viens à l’atelier, et là je constate ce que j’ai fait le jour précédent. Hier, j’ai constaté que c’était nouveau, et que ce nouveau me donnait envie de peindre. Suis-je toujours dans l’impasse ? Sans doute, mais c’est une impasse féconde.
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Le Jour où… Viallat a trouvé sa forme "quelconque"
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°706 du 1 novembre 2017, avec le titre suivant : Le Jour où… Viallat a trouvé sa forme "quelconque"