Pinault

Le dialogue de sourds de la Pointe de la Douane

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2013 - 559 mots

Sans réel fil conducteur autre que la qualité des œuvres présentées, la Pointe de la Douane dévoile une élégante exposition composée de valeurs sûres du marché.

VENISE - Difficile, en découvrant l’exposition « Prima materia » que propose en ce moment la Pointe de la Douane, à Venise, de comprendre quel est vraiment le sujet de l’exposition désignée sous ce titre peu explicite. L’institution évoque le « dialogue » pour maître mot, entre les deux commissaires, entre l’Europe et la Californie, entre des artistes venus d’horizons culturels et géographiques différents. Le dialogue entre des œuvres et des artistes n’est-il pas précisément le propre de tout accrochage ? Plus convaincant apparaît l’argument du dialogue entre les œuvres et leur contexte, le lieu même de la Pointe de la Douane, qui offre l’un des plus beaux espaces au monde pour montrer de l’art contemporain. Les bâtiments historiques, avec leurs hautes cimaises de brique ancienne, leurs vastes volumes et leurs superbes charpentes ont été magnifiés par l’intervention de l’architecte contemporain star Tadao Ando, qui a introduit, avec un talent rare, le verre et le béton. Cette exposition constitue donc, en grande partie, un hommage rendu à l’éclatant talent de l’architecte et à la plasticité des espaces qu’il a su créer. Pour le reste, difficile de voir une unité ou un réel fil conducteur qui rassemblerait les œuvres exposées. L’entrée en matière est turbulente, puisque le visiteur est accueilli par l’amusante vidéo Double No de Bruce Nauman, dans laquelle un clown trépigne avec une rare frénésie pour exprimer son refus. S’ensuit la découverte de la première salle dont, sans même connaître les auteurs et leur lieu de résidence, on perçoit d’emblée la nature californienne. Trois œuvres de 2011 et 2012 (Public Crop, Porch Limit et Local Dock) de Lizzie Fitch et Ryan Trecartin composent une vaste installation suffisamment déjantée pour ne laisser aucun doute, avec le joyeux désordre qui règne dans la salle et ses vidéos qui mettent en scène des personnages grimés de façon outrancière. Obèses, probables transsexuels ou travestis, bienvenue en Californie ! Cette œuvre puise ses racines dans la culture underground.

De l’underground au minimalisme
Difficile de comprendre le lien entre cette première salle, d’esprit « très biennale », et le reste de l’exposition, autrement plus sage, d’autant que les artistes appartenant à différents courants minimalistes sont très représentés, surtout au rez-de-chaussée où la sculpture figure en excellente place. De très belles œuvres d’artistes – le plus souvent très reconnus et américains, et d’assez nombreux Français, nettement plus jeunes – composent le reste de l’exposition : voici le véritable fil rouge. L’installation de Loris Gréaud Does the Angle Between Two Walls Have a Happy Ending ? fonctionne très bien et introduit de nouveau un peu d’audace dans une présentation qui, passée l’entrée, devient très sage. Ici, l’élégance est partout, dans l’architecture comme sur les murs. À un détail près. On a surtout affaire à des valeurs sûres du marché. Dommage qu’en visitant ce magnifique endroit qui offre de telles œuvres, vienne aussi clairement à l’esprit – en visitant notamment la salle des Mark Grotjahn – qu’y pourrait aussi bien se trouver le showroom d’une maison de ventes aux enchères.

PRIMA MATERIA, PUNTA DELLA DOGANA, FRANÇOIS PINAULT FOUNDATION

Dorsoduro 2, 30123 Venise, tél. : 00 39 041 523 1680, www.palazzograssi.it, tous les jours de 10h-19h, fermé le mardi, jusqu’au 31 décembre 2014

PRIMA MATERIA

Commissaires : Michael Govan et Caroline Bourgeois

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°394 du 21 juin 2013, avec le titre suivant : Le dialogue de sourds de la Pointe de la Douane

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