Actant de l’impuissance du réalisme photographique, le peintre va confier dans les années 1980 une dimension plus spirituelle à ses paysages.
À la fin des années 1970, après avoir emprunté le chemin du « naturalisme » à la suite des peintures stylisées des années 1960, David Hockney traverse une crise. La voie du réalisme photographique dans laquelle il s’est engagé lui apparaît comme une impasse, car incapable de traduire sa perception de l’espace d’un point de vue sensoriel et émotionnel. Il renonce donc à la perspective classique inventée par les maîtres de la Renaissance, qu’il compare à la vision d’un « cyclope immobile », et s’essaie à de nouvelles tentatives de constructions spatiales. Sa peinture de paysages prend dès lors une toute nouvelle ampleur, à travers des propositions de plus en plus spectaculaires.
Doublement influencé par Picasso qu’il redécouvre lors d’une rétrospective que lui consacre le MoMA de New York en 1980 et la découverte des rouleaux de peinture chinoise, il tente de traduire son expérience physique et temporelle de l’espace en automobile. Depuis l’été 1979, il vit non plus à Los Angeles, mais dans une nouvelle maison sur les collines d’Hollywood. Quotidiennement, il effectue le trajet pour se rendre dans son studio situé en ville, boulevard Santa Monica. Cette expérience donne notamment lieu à la peinture panoramique Mulholland Drive: The Road to the Studio qui, dans une palette chatoyante, additionne une multitude de perspectives sur l’espace. Quelques années plus tard, en 1988, il achète une maison à Malibu et, là encore, il tente de traduire l’expérience de l’espace vécu lors de ses trajets entre Malibu et Hollywood dans The Road to Malibu (1988). Recourant alors à la perspective inversée qui permet d’inclure le spectateur dans la toile, il parvient à créer un espace fluide composé d’une succession de points de vue qui s’incorporent les uns aux autres.
Parallèlement, il crée d’autres images multifocales et temporelles de paysages sous la forme de collages photographiques (les « joiners »). « J’ai toujours eu le sentiment que la photographie ne pouvait pas donner la sensation de l’espace », dit Hockney, mais « au moment où j’ai commencé à comprendre qu’on pouvait altérer la perspective en photographie, la première chose que je fis fut d’aller photographier quelque chose d’imphotographiable : le Grand Canyon. » Cette quête atteint son point culminant en 1986 avec Pearlblossom Highway qui systématise le principe d’une vision polyfocale à travers le collage de centaines de photos représentant l’intersection d’une route menant de Los Angeles à Las Vegas.
À la fin des années 1990, ses paysages révèlent une nouvelle approche de la nature, qualifiée par certains de plus spirituelle. La maladie de son ami Jonathan Silver l’amène à séjourner plus longuement que d’habitude sur sa terre natale, dans la campagne du Yorkshire. C’est l’occasion pour lui de peindre les paysages de son enfance, dans lesquels il transpose le chromatisme flamboyant et la multiperspective de ses peintures du désert du Grand Ouest. Chose nouvelle : le spectateur fait l’expérience d’espaces comme s’il était en hauteur, comme s’il surplombait le paysage.
De retour dans l’Ouest américain, il a l’idée de réaliser une vue immense du Grand Canyon en assemblant plusieurs toiles peintes comme il avait pu le faire dans ses expériences de collages photographiques. Comme dans ses peintures du Yorkshire, on y expérimente la sensation de surplomber l’espace. Peut-être sous l’impulsion de la maladie de son ami et de la mort par le sida de nombreux de ses proches, Hockney développe-t-il ainsi une vision quasi panthéiste de la nature. Si ses premiers paysages se concentraient sur l’expérience physique et visuelle de l’espace, les œuvres plus tardives semblent en effet portées par un nouveau souffle spirituel.
C’est notamment le cas du cycle des saisons, qu’il aborde sous la forme d’une installation vidéo intitulée Four Seasons en 2011. Pendant un an, à l’aide de dix-huit microcaméras haute définition fixées sur sa Land Rover, il a filmé en simultané l’évolution du paysage. Disposés sur quatre murs différents, les écrans de télévision juxtaposés diffusent ces images filmées. Totalement immergé dans le paysage, le spectateur est invité à une expérience à la fois sensorielle et spirituelle.
Séjournant régulièrement dans le Yorkshire à partir des années 2000, Hockney poursuit sa quête du paysage à travers l’assemblage d’une multitude de toiles peintes avec l’aide de la photographie numérique. Il n’hésite pas non plus à s’emparer des nouvelles opportunités offertes par l’iPad pour poursuivre sa pratique de paysagiste par d’autres moyens. Dans le prolongement de grands peintres romantiques anglais du paysage comme Turner et Constable, il réinvente le paysage anglais à l’âge de l’image numérique.
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Le David Hockney paysagiste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°702 du 1 juin 2017, avec le titre suivant : Le David Hockney paysagiste