PARIS
Longtemps attendu, le Centquatre a enfin ouvert ses portes le 11 octobre 2008. Nouvel outil culturel pluridisciplinaire de la Ville de Paris piloté par deux metteurs en scène, il devrait mettre l’accent sur la rencontre du public et de l’artiste au travail.
Le 29 décembre 2007, le Centquatre entrouvre ses portes pour une « traversée » de chantier. Objectifs : communiquer sur un projet qui tarde à sortir de terre, inscrire le lieu dans un espace urbain et social, et créer du désir. Au milieu des gravats, imagination en bandoulière, se dessine déjà l’ossature d’un projet mis en espace. Ce que l’on sait alors : le siège des anciennes pompes funèbres municipales, défroqué en 1997 et coincé dans la cité Curial du Nord-Est parisien, l’un des « quartiers les plus pauvres de Paris », est en cours de réhabilitation, il est destiné à abriter un ambitieux outil culturel estampillé Mairie de Paris et bichonné de très près par son adjoint à la Culture Christophe Girard.
Un lieu de plus, ça ne peut que réjouir. Contenu du projet ? Il est question d’artistes au travail, en interaction avec le public et la cité ; de grand écart entre ambitions sociolocales et vocations internationales ; c’est encore un peu flou, mais une chose est sûre : ce sera le plus gros investissement culturel de la mandature Delanoë, et c’est à une direction bicéphale – assurée par les metteurs en scène Robert Cantarella et Frédéric Fisbach, choisis parmi quatre cents candidatures – qu’est confié le « bébé ».
Autre certitude, le large passage qui scinde le bâtiment en son centre de part et d’autre de la rue Curial et de la rue d’Aubervilliers en sera la colonne vertébrale, à la fois nouvelle voie publique fonctionnelle pour le quartier et espace de distribution de lieux de production de part et d’autre de la travée. Autrement dit, on attend du flux et on tissera du lien.
Les premiers jours d’une future institution
Le 11 octobre 2008, on y voit plus clair. Quoique, c’est jour d’inauguration et il y a débordement.
Ça commence par une jauge puis une soirée écourtée devant l’afflux. Ça grince. Et les visiteurs semblent bien peu locaux.
Le magistral bâtiment de brique rouge, de pierre, de verre et de métal construit en 1873 sous la baguette de Baltard s’est mué en un bel et très sérieux espace post-industriel. Circulation limpide et balisée, volumes élégants, fonctionnalités marquées et une distribution des volumes surlignée par l’Atelier Novembre. C’est d’abord un lieu de signes et de travail. Inauguration donc. Delanoë mi-figue, mi-raisin au tandem dirigeant : « Vous avez le droit à l’erreur, mais pas au conformisme. »
Le 23 octobre 2008, la jeune et énergique foire d’art contemporain Slick pose stands et allées au Centquatre. Où l’on comprend que les espaces seront privatisables et modulables pour assurer l’économie du projet. Vernissage et re-débord.
Le 4 novembre 2008, baigné de soleil et sous un ciel bleu, en plein après-midi. On entre par la rue d’Aubervilliers, un petit groupe badgé se précipite : « Nous sommes l’accueil. » À gauche, sous la verrière, une belle programmation vidéo météosensible d’Anri Sala, un peu plus loin, dans l’Atelier 4, le spectaculaire dispositif à sept écrans de Melik Ohanian. Manquent encore la librairie, la « Maison des petits » designée par Matali Crasset, manquent aussi la terrasse du café et les boutiques, mais on sert des pizzas fumantes et des chocolats chauds dans une baraque à frites rétro garée sur la travée centrale. Singulière plate-forme que cette travée centrale publique sous verrière, mi-rue – largement empruntée par les habitants du quartier –, mi-plateau ou décor de cinéma sur lequel semble se régler comme un ballet de trajectoires : on s’y affaire, s’y rencontre, et ce jour-là, deux chiens et un petit groupe d’enfants jouent au ballon.
Animateurs ? Non, artistes !
Pour l’heure, la rue est à moitié condamnée pour les besoins d’une soirée événement privée, « sorte de battle de danseurs de hip-hop », précise Viravong, jeune auteur de B.D. en résidence pour un an, le temps d’accoucher d’un album dont le scénario prendra appui sur le quartier. Lui s’apprête à passer l’après-midi avec des jeunes d’un centre de loisirs du quartier. Au menu : apprendre à faire un strip de trois ou quatre cases. « D’habitude, je travaille chez moi à ma fenêtre, raconte-t-il, ça me fait du bien d’avoir un peu de retour sur mon travail. »
Comme tous les artistes ici, Viravong ouvre régulièrement son atelier au public. « C’est la donne, défend Frédéric Fisbach, l’un des deux directeurs. Ici, c’est un endroit de compréhension, et je crois que le quotidien de l’artiste est un moment idéal de transmission. » Comprendre : tous les artistes, jeunes, confirmés, locaux, internationaux accueillis ici – et il devrait y en avoir deux cents en permanence –, qu’ils soient plasticiens, danseurs, metteurs en scène, vidéastes, performeurs, auteurs, bénéficient de temps et d’espace de travail, en contrepartie de quoi, ils transmettent, accueillent, échangent, expliquent, programment des rencontres et inventent des relations avec les habitants et collectivités du quartier. Comprendre encore, un modèle éloigné de celui du Palais de Tokyo.
« Le premier génie d’un artiste, c’est son obstination à remettre son travail sur l’établi, jour après jour, heure après heure, à travailler à son obsession, justifie Fisbach, qui se défend de confondre artiste et animateur culturel. Ceux qui nous attaquent sur ce terrain sous-entendent que l’acteur culturel est un artiste raté et que l’artiste qui aurait réussi n’aurait pas besoin de le faire. » Il faut y ajouter en sous-texte l’idée discutable qu’un plasticien ait, par exemple, à se justifier de son travail, et que cette relation avec le public, soit susceptible de « modifier son travail, ses œuvres », même le temps d’une expérience dans son parcours. À voir.
« Ça ne change pas grand-chose », assure Viravong. Même constat chez les frères Berger, en résidence jusqu’à fin décembre. « Dans la pratique on rencontre du monde, se réjouissent-ils. Il y a peut-être un petit effet zoo, mais c’est le jeu. » La théâtralisation de la production, un point de vue de metteur en scène ? Au point de se substituer à la diffusion ? « Certainement pas, se défend Frédéric Fisbach. Mais il y a déjà pléthore de lieux de diffusion. »
Quant aux sommes engagées, faut-il s’inquiéter de voir déshabiller Pierre pour habiller Paul ? Quid de chantiers comme ceux du 59Rivoli – dont le fonctionnement précédait celui du Centquatre – et de la Générale ? Des projets pris en main par la mairie mais dont les calendriers sont sans cesse repoussés. « Le problème à Paris, c’est de trouver des lieux de travail pour les artistes, confirme Frédéric Fisbach. À la marge, le 104 compense, mais il est évident que nous ne résoudrons pas le problème. Ça n’est de toute façon pas ce qui donne la direction à ce lieu. On est là pour défendre un fonctionnement suffisamment énergique dans ses volontés, ses choix et ses radicalités pour faire avancer les choses. »
En préfiguration depuis 2003, le chantier aura duré presque 3 ans et le Centquatre aura utilisé une enveloppe de 100 millions d’euros pour la réhabilitation et la conversion du bâtiment. D’une capacité d’accueil de 5 000 personnes, les espaces définissent 18 ateliers d’artistes et 2 salles de spectacle de 200 et 400 places. Reste à assurer l’économie du vaisseau de 39 000 m2 (dont 15 000 de surface utile). Budget prévisionnel : environ 12 millions d'euros. Le duo Fisbach-Cantarella, en mandat pour 2 fois 3 ans, pourra compter sur les 8 millions fournis par la Ville. À lui de lever les 4 millions manquants. Les 6 000 m2 d’espace à louer, les 1 000 m2 de superficie de commerces devraient en alimenter une partie, mais ça ne sera pas suffisant.
Autres chiffres décisifs dans la conception du projet : le XIXe arrondissement compte 60 % de logements sociaux et un taux de chômage flirtant avec les 17 %. En réponse : une maison des petits, des ateliers assurés par les artistes, 10 % des salariés du Centquatre dépendant des aides à l’insertion et un espace de 500 m2 (Le Cinq) accueillant les pratiques amateurs, administré par le 104, mais symboliquement « délocalisé » rue Curial.
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Le Centquatre
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. Le Centquatre, 104, rue d’Aubervilliers et 5, rue Curial, Paris (XIXe). Ouvert tous les jours, du mardi au samedi de 11 h à 23 h, les dimanches et lundis jusqu’à 20 h. Tarifs : 5 et 3 euros. www.104.fr
Le Centquatre fait des émules. L’ouverture du Centquatre a, semble-t-il, inspiré nos voisins les Anglais. À Birmingham, le projet de rénovation en centre d’art des anciennes pompes funèbres n’attend plus que l’accord du gouvernement britannique. Installé dans l’ancien quartier des joailliers, le bâtiment victorien pourrait bientôt être réhabilité.
Ce lieu pourrait même s’inscrire dans un parcours touristique ironiquement appelé Dark Trail (« route obscure ») qui comprendrait la visite de l’église Saint-Paul et des cimetières de Warstone Lane (plus d’infos sur www.artclair.com).
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°608 du 1 décembre 2008, avec le titre suivant : Le Centquatre