Rodin sculpteur a également fait réaliser des bronzes dont le musée éponyme peut, aujourd’hui encore, tirer quelques exemplaires. De la question, cruciale, du multiple…
En 1999 tirant profit des célébrations du troisième millénaire, le Musée Rodin a édité les premières épreuves de L’homme qui marche, sur colonne, dont seul le plâtre avait été exposé en 1900. Ces tirages ont pourtant été vendus comme des originaux. De par sa production continue en bronze, l’institution se trouve au cœur de cette problématique qui fait l’objet de controverses régulières, sur fond de méconnaissance du sujet. Une ignorance malheureusement entretenue par quelques spécialistes et nombre de conservateurs, qui trouvent sans doute cette pratique un peu honteuse.
L’encadrement législatif
Ayant bénéficié de l’héritage de l’artiste, le Musée Rodin n’a cessé de fabriquer des multiples, disséminés par milliers à travers le monde – significativement, il répugne à en donner une estimation. Les bonnes années, cette vente lui rapporte une demi-douzaine de millions d’euros, représentant jusqu’à la moitié de son budget. Certains connaisseurs trouvent le principe discutable. Moralement, si l’artiste a souhaité une fonte et si elle est correctement exécutée, il est pourtant difficile de le récuser.
En vérité, chaque cas est particulier. La ciselure et la patine revêtent une importance considérable pour la qualité de la représentation. Il y eut des bronzes médiocres réalisés du vivant de l’artiste. Toutes les fonderies ont connu leurs bonnes et mauvaises périodes. Rodin ou Bourdelle, par exemple, déléguaient à leurs artisans et ne vérifiaient pas chaque sortie d’atelier. Si le marché entretient à dessein l’ambiguïté, il reste certainement aux musées à améliorer l’information de leur public : Catherine Chevillot, la directrice du Musée Rodin, prévoit ainsi d’inscrire la date de fonte sur ses cartels. Dans tous les cas, cette discussion n’a rien à voir avec le principe juridique : la loi autorise clairement cette production. Comme l’a inscrit la Cour de cassation en 1991, « les épreuves en bronze en tirage limité », à partir d’un modèle réalisé par le créateur, « doivent être considérées comme l’œuvre elle-même émanant de l’artiste ».
La série est restreinte à douze exemplaires (le Musée Rodin s’en garde toujours un). Cet encadrement, édicté dans des conditions législatives extravagantes, n’existe que depuis 1967. Auparavant, les ayants droit pouvaient tirer autant d’exemplaires originaux qu’ils le voulaient. Le Musée Rodin, qui s’est appliqué le principe des séries limitées avant même cette date, n’en a pas abusé. Mais il existe, par exemple, vingt et une éditions originales du monument du Penseur.
De la patine
Dans sa sagesse, le législateur a exigé que les tirages effectués avant 1967 soient décomptés de la série. Ainsi, même en alignant des millions de dollars, l’émir du Qatar ne pourrait-il pas s’offrir un groupe des Bourgeois de Calais pour sa place royale. Une vingtaine des grands sujets de l’artiste sont épuisés, comme L’Âge d’airain. Il en reste. Sans compter les figurines, qui se vendent très bien. Les conditions de cession et les projets du musée sont plutôt opaques, les opérations se faisant de gré à gré. Il s’efforce de respecter la ciselure et la patine telles que Rodin les aurait conçues.
Mais les auteurs ne laissent pas toujours ces précieuses indications. Le succès n’est pas forcément au rendez-vous, si l’on songe aux bronzes vendus en nombre après la guerre à Gerald Cantor, aujourd’hui disséminés dans les musées américains, dont Les Bourgeois de Calais et La Porte de l’enfer, qui ont été systématiquement recouverts d’un noir de fumée qui « tue » littéralement l’œuvre. Certes, la couleur sombre tirant vers le noir a été utilisée par Rodin lui-même, mais il y a fort à parier que le musée aujourd’hui attacherait davantage d’attention aux nuances.
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Le casse-tête des bronzes - Posthumes mais originaux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°652 du 1 décembre 2012, avec le titre suivant : Le casse-tête des bronzes - Posthumes mais originaux