L’« Expérience de la durée », la 8e édition de la Biennale de Lyon, convoque figures historiques des années 1970 et jeunes artistes sous influence.
LYON - Vertiges de vitesse, consumérisme, abolition des distances…, à quel temps sommes-nous mangés dans nos sociétés actuelles ? Sous-titrée « Expérience de la durée », la 8e Biennale d’art contemporain de Lyon nous entraîne dans cinq lieux : l’ancienne Sucrière, le Musée d’art contemporain, Le Rectangle, le fort Saint-Jean, à Lyon, et l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne. Chaque fois, les œuvres présentées invitent à une expérience intense liée à la perception et au vécu du visiteur.
Conçue par les directeurs du Palais de Tokyo, Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud, (lire le JdA no 220, 9 sept. 2005), l’édition 2005, réunissant 62 artistes parmi lesquels de nombreuses figures tutélaires, privilégie la redécouverte d’œuvres plutôt que la nouveauté. Les couleurs et les utopies des années 1970 sont revisitées à l’aune des années 1990-2000 tout au long de cette aventure en forme de faille temporelle. Un parcours aussi sensitif que sensuel qui propose de ralentir le pas, de se relaxer voire de se recueillir spirituellement.
À La Sucrière, où le plus grand nombre d’œuvres sont réunies, le ton est donné d’emblée avec Sleep (1963). La vidéo volontairement soporifique d’Andy Warhol nous livre plus de 5 heures du sommeil du poète John Giorno sur écran grand format. Pionnier de l’art conceptuel, Tom Marioni établit, lui, une boucle temporelle en réactivant ici une pièce de 1969 : One Second Sculpture, ainsi qu’une performance. 24 écrans s’ouvrent comme autant de fenêtres sur 24 heures de la vie de Jonas Mekas et rend hommage par la même occasion à Fernand Léger. Autre saut dans le temps avec des figures de l’art des années 1960-1970 : Yoko Ono, performeuse et vidéaste Fluxus, présente Cough Piece, une œuvre où la quinte de toux devient instrument sonore et vient ponctuer le temps.
Partout, le temps se déconstruit, se réactive, se sample. Le visiteur peut être pris dans la durée imposée par la projection – la vidéo de Allora & Calzadilla nous offre ainsi le point de vue d’une tortue. Avec son film This is not a Time for Dreaming, qui met en scène des marionnettes, Pierre Huyghe pratique la mise en abîme : le temps est composé de mille et un tiroirs qui s’imbriquent les uns dans les autres. Melik Ohanian présente sept points de vue différents d’un même accident à travers sept écrans géants. Le temps passé sur un travail en fait-il une œuvre ? 400 demi-heures de dessin quotidien : c’est le temps que Robert Malaval a mis pour peindre sa série de toiles. Avec son installation intitulée Écarlate, Virginie Barré nous confronte, elle, à un arrêt sur image qui semble être tiré d’un film d’horreur : un mannequin de femme assassinée est suspendu à un lustre au-dessus de nos têtes.
Quitte à halluciner, mais avec une charge nettement moins dramatique, une série de dispositifs sont à savourer longuement et de l’intérieur. Au Musée d’art contemporain, les œuvres s’étendent dans l’espace. Daniel Buren a conçu une immense installation dont les parois colorées filtrent la lumière quasi religieusement. À la Sucrière aussi, entre effluves d’encens et éclairage tamisé, sons cristallins, mobiles colorés et ombres qui dansent sur l’épaisse moquette, le temps s’étire dangereusement dans la Dream House de la Monte Young, un artiste historique aux élans New Age fort marqués. Dans un esprit pourtant assez proche, l’installation de Brian Eno, inventeur de la musique ambient, est moins convaincante. S’il reste à la pointe musicalement, ses statues antiques plongées dans des ambiances lumino-phosphorescentes abstraites frôlent le mauvais goût. Mais toute expérience n’est pas de tout repos. Alors qu’avec le Britannique Martin Creed il faut traverser avec peine une nuée de ballons de baudruche roses, Ann Veronica Janssens nous plonge dans un environnement fluo jaunâtre et enfumé, claustrophobique. Les impressions psychotropes sont aussi garanties visuellement avec les toiles adénoïdes de John Tremblay, le Kaléidoscope d’Olafur Eliasson ou le dispositif poético-organique et cellulaire de Vidya Gastaldon. La pop culture ne saurait se passer de son. Terry Riley propose un labyrinthe de miroirs dans lequel l’écho sévit. Saâdane Afif établit un parallèle entre l’histoire de la musique et celle de l’art : quatre accords pour guitares électriques. Musique pop électronique, underground, psyché et même militantisme avec Kendell Geers ou le féminisme d’Agnès Thurnauer (lire p. 13)…, artistes actuels et ex-fans des hippies se mêlent : un mille-feuille qui puise ses racines dans la contre-culture. Un terrain sur lequel Jean-Marc Chapoulie nous entraîne au fort Saint-Jean avec sa programmation vidéo où la quintessence de la pop culture se manifeste aussi bien à travers Les Idoles, un film de Marc’O, qu’un documentaire décrivant les effets néfastes de la drogue à travers un jeu de Lego.
Jusqu’au 31 décembre : La Sucrière, Les Docks, 47-49, quai Rambaud ; Musée d’art contemporain, Cité internationale, 81, quai Charles-de-Gaulle ; Le Rectangle, place Bellecour ; fort Saint-Jean, École nationale du Trésor, 21, montée de la Butte, 69000 Lyon ; Institut d’art contemporain, 11, rue du Docteur-Dollard, 69605 Villeurbanne ; tél. 04 72 07 41 45, tlj sauf lundi 12h-19h, le vendredi jusqu’à 22h (sauf au fort Saint-Jean), www.biennale-de-lyon.org. Cat. à paraître, éd. Paris-Musées - Nombre d’artistes : 62 - Budget total : env. 5,5 millions d’euros - Nombre de visiteurs en 2003 : 130 000 - 70 manifestations parallèles
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le bon tempo d’une biennale hippie chic
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €L’expérience du vide : performances 2000 Indissociable du vivant et du vécu, l’underground ne serait pas grand-chose sans la performance. L’« Expérience de la durée » n’est pas passée à côté de cette donnée qui fleure bon les années 1970. Mais, remixée par les années 2000, la performance n’a ni le même attrait ni le même impact. L’artiste Spencer Tunick a créé l’événement quelques jours avant le vernissage en mettant la ville à nu : près de 1 500 personnes ont accepté l’invitation en échange d’une édition photographique de l’artiste. Aux premières lueurs du jour, tous se sont dévêtus en nombre sans craindre les basses températures pour permettre à l’artiste de réaliser des photos où la nudité est de mise. Ces images étonnantes seront exposées à la Biennale à partir de la mi-novembre. Plus potache, John Bock s’est laissé « lessiver » dans un conteneur qu’il faisait tourner mécaniquement. Allen Ruppersberg a puisé dans sa banque d’images des photocopies de dessins à colorier, dédicacées sur demande. Le Thaïlandais Surasi Kusolwong a, lui, improvisé un orchestre en bricolant des instruments de musique étranges que le public pouvait activer. Quant à Tom Marioni, il a réactivé une performance réalisée en 1970 et consistant à boire des bières avec des amis dans sa galerie. Cette fois, Drinking Beer with Friends is the Highest Form of Art s’est jouée à La Sucrière autour du bar constitué et approvisionné par l’artiste. Privée de contenu politique ou de revendication sociale, la performance des années 2000 s’offre comme un spectacle pur et simple, parfois drôle, parfois décevant. Rats volant Après avoir vu la grande installation que Kader Attia a réalisée pour la Biennale de Lyon, vous ne regarderez plus jamais de la même manière les enfants jouer dans une cour de récréation. L’artiste a en effet enfermé des mannequins dont la tête et les membres sont fabriqués en céréales, et de gros pigeons qui, inexorablement, picorent les bambins. Au point qu’il ne reste de certains qu’un macabre tas de vêtements. Cette grande installation est certainement l’une des plus marquantes de la Biennale de Lyon, si bien que les plus importants collectionneurs présents lors de la première journée professionnelle n’en finissaient pas de tourner autour. Kamel Mennour, qui représente l’artiste, en demandait 60 000 euros. Et c’est le collectionneur et galeriste suisse Pierre Huber, accompagné d’Yves Aupetitallot, chargé de mission pour le futur musée des beaux-arts de Lausanne – qui doit ouvrir en 2010 –, qui a été le plus prompt. Peut-être reverra-t-on cette œuvre sur les bords du lac Léman en compagnie d’une autre pièce de Kader Attia, la Piste d’atterrissage (2000), que le collectionneur avait déjà achetée pour 30 000 francs. Philippe Régnier
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°221 du 23 septembre 2005, avec le titre suivant : Le bon tempo d’une biennale hippie chic