Laurent Tixador & Abraham Poincheval

« Un atelier permettant de penser sous influence »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 juin 2008 - 794 mots

À la galerie In Situ-Fabienne Leclerc, à Paris, Laurent Tixador & Abraham Poincheval relatent, à travers vidéos et objets, trois de leurs récentes aventures : l’« encellulement » pendant deux semaines à la Friche la Belle de Mai à Marseille (La Grande Symbiose, 2007) puis à la Station à Nice (La Grande Symbiose II, 2008), ainsi que le creusement d’un tunnel pendant quinze jours à Murcie, en Espagne (Horizon moins vingt, 2008) (lire le JdA no 276, 29 février 2008) . S’y ajoute une tente transparente, où les compères vont combattre les moustiques (Arène, 2008).

Vos performances récentes ont trait à l’enfermement. Pour quelles raisons ?
Laurent Tixador : Il ne s’agit pas du tout d’histoires d’enfermement. Tout vient d’une suite logique, d’une douzaine de performances qui furent chaque fois destinées à changer un peu notre quotidien. Notre souhait est de nous isoler afin d’être influencés par un lieu, une situation, un comportement. Nous ne réitérons jamais une expérience. Nous préférons nous mettre en situation de découverte et y arriver vierges. Chacune de nos interventions est une sorte d’atelier où l’on travaille, réfléchit, pense sous influence. Parfois c’est intéressant, parfois non ; on ne le sait pas à l’avance. Ici, il nous est apparu logique qu’après une longue suite de voyages physiques nous nous retrouvions dans des espaces cloîtrés. Ils sont du même ordre que nos déplacements, sous une forme différente.

Ces déplacements d’atelier visent-ils à remettre en cause nos certitudes vis-à-vis de ce qui nous entoure, ou de ce qu’est le travail de l’artiste ?
L. T. : Si interrogation il y a, elle ne porte pas sur le travail des artistes en général, mais sur le nôtre. Je ne me considère pas comme étant assez fort pour rester dans un atelier et produire un acte créatif sans événement extérieur. Je m’intéresse aux conditions physiques et mentales qui vont faire que je vais fabriquer un objet, ou que je vais penser à quelque chose que je n’aurais tout simplement pas fait par moi-même.
Abraham Poincheval : Il y a aussi ce besoin de nouveaux paysages, d’horizons autres pour arriver à se projeter dans une nouvelle production. Comme à Murcie, où, à chaque coup de pelle, on crée un paysage et découvre un nouvel horizon.

Vos objets, bouteilles, pelles, etc., sont issus de vos performances et se nourrissent de ces contextes particuliers, par l’usage des matériaux trouvés sur place. Quel statut leur donnez-vous ?
L. T. : Ce sont des objets souvenirs, comme le coquillage rapporté de vos vacances à la plage. C’est leur seule raison d’être. Les pelles, par exemple, sont celles que nous avons utilisées pour creuser le tunnel (Horizon moins vingt, Deux pelles, 2008). Dans les grottes creusées à l’intérieur des manches, les figurines sont faites avec de l’os trouvé là-bas. Cet objet est là pour provoquer de l’émotion, mais, assez égoïstement, à nous seulement.
A. P. : Ces objets sont aussi comme une porte permettant de faire un aller-retour. Lorsqu’on est dans le temps du voyage, ils permettent de se projeter chez soi, et au retour, on peut se projeter à nouveau dans le voyage.

Un objet non fabriqué avec des matériaux issus du contexte ne présenterait-il aucun intérêt particulier ?
L. T. : Ce serait comme un faux, et il ne nous intéresserait pas !

Relativement à la performance, les notions d’extrême ou de risque vous intéressent-elles ?
L. T. : C’est un peu inhérent au fait que l’on se retrouve dans des situations que l’on ne connaît pas, et donc qui peuvent être compliquées, dangereuses… Mais la notion de risque ou d’extrême en soi ne nous intéresse pas. Nous ne sommes pas des sportifs !

Qu’allez-vous faire dans l’Arène avec les moustiques ?
L. T. : C’est une action d’un temps exceptionnellement court, qui durera une nuit. Nous avons fait un élevage d’un millier de larves de moustiques dans un vivarium rattaché à une structure fermée. Nous allons y passer une nuit, en slip, à les combattre comme des gladiateurs. Ce qui subsistera de l’action sera la toile blanche accrochée au mur sur laquelle se retrouveront les quelques insectes que nous aurons réussi à tuer. Pour garder un objet souvenir de cette nuit-là justement.
A. P. :  S’attaquer au moustique s’explique par le fait qu’il est présent dans presque chacun de nos déplacements, dans toutes les situations : il est l’ennemi implacable et récurrent. Là, nous nous confrontons directement à lui.

Que vous apporte le travail en duo ? Ne pourriez-vous pas travailler seuls ?
L. T. : Un projet comme le creusement du tunnel est impossible à réaliser seul. Le travail d’artiste s’effectue ici à deux, nous formons une équipe.
A. P. :  Mais depuis La Grande Symbiose, nous avons développé chacun des univers très personnels. Nous fabriquons nos objets. Ce ne sont pas les productions d’un duo mais celles de chacun d’entre nous.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°283 du 6 juin 2008, avec le titre suivant : Laurent Tixador & Abraham Poincheval

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