En imaginant une correspondance avec l’ambassadeur d’Abkhazie, Éric Baudelaire interroge la possibilité d’un État sans État.
PARIS - Connu pour être un espace différent où souvent se développent des propositions aux formats originaux et intellectuellement ambitieuses, le centre d’art Bétonsalon, à Paris, ne fait pas mentir sa réputation avec le projet d’Éric Baudelaire actuellement en ses murs. Il y a peu à voir… à première vue. Une longue table sur laquelle sont étalés des courriers expédiés par l’artiste et au fond de l’espace, un bureau sans apprêt à côté duquel se dresse un drapeau inconnu. Le destinataire de toutes ces missives est toujours le même : Maxim Gvinjia, ancien ministre des Affaires étrangères de la République d’Abkhazie qui, pour ce projet, a donné de sa personne en assurant une présence derrière ce bureau afin de jouer le rôle d’ « anambassadeur » et d’engager avec qui le souhaitait la discussion sur les questions tant géopolitiques que sociales posées par la situation de son pays. L’Abkhazie ? Un petit territoire d’une superficie de 8 600 km2 et de 240 000 habitants bordé par la Mer Noire, coincé entre la Russie et la Géorgie dont il a longtemps fait partie et qui, en 1992, s’est déclaré indépendant. Il n’est aujourd’hui reconnu que par six États ; une situation qui dans les faits lui dénie donc toute forme d’existence légale à l’échelon international.
Des réponses orales à des questions écrites
Si les missives de Baudelaire, plusieurs dizaines expédiées au cours de l’année 2012, sont assez étrangement parvenues à leur destinataire en transitant par la Géorgie, elles sont restées sans réponses écrites, l’Abkhazie ne pouvant disposer d’une poste internationale. Maxim Gvinjia a donc enregistré des réponses orales. Cette correspondance forme la matrice et assure le déroulé du beau film Lost Letters to Max (2013). L’artiste y pose une foule de questions afin de tenter de donner corps et consistance, si ce n’est réalité, à cette République et d’en comprendre la possibilité même tout en lui offrant un visage. Ce dialogue interposé, finalement portrait d’un homme autant que d’un pays, interroge de toutes parts le désir d’État et l’imaginaire étatique qui en découle. Défile l’étrange sensation d’un pays suspendu, entre-deux, où sont essentiels les ressorts du pouvoir évidemment, mais surtout de sa représentation qui d’un certaine façon permet de lui assurer une existence ; comme lors de ce voyage officiel du président d’alors au Nicaragua et au Venezuela, deux des pays ayant reconnu l’Abkhazie. Émergent également des questionnements relatifs à la possibilité de trouver une place dans un monde globalisé tiraillé par les défis identitaires. En reste l’impression que dans ce territoire de l’imagination, dans cette zone grise, se dessine in fine une zone libre.
Jusqu’au 8 mars, Bétonsalon, 9, esplanade Pierre Vidal-Naquet, 75013 Paris, tél. 01 45 84 17 56, www.betonsalon.net, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h. Projection du film à 15h et 17h, samedi à 12h.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’Abkhazie, le pays qui n’existe pas
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Consulter la fiche biographique d'Éric Baudelaire
Légende Photo :
Eric Baudelaire, Lost Letters to Max, 2014, image issue du film. © Eric Baudelaire
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°408 du 28 février 2014, avec le titre suivant : L’Abkhazie, le pays qui n’existe pas