Une vaste exposition au Centre Pompidou-Metz met en lumière l’architecture et l’histoire des mutations urbaines au pays du Soleil-Levant, de 1945 à aujourd’hui.
À partir des années 2000, nombreux sont les maîtres d’œuvre qui amorcent une carrière hors du Japon, si bien que l’architecture contemporaine nippone bénéficie, aujourd’hui, d’une renommée interplanétaire. Si l’esthétique d’une architecture de la disparition perdure, les chefs de file (Shigeru Ban, Kengo Kuma, Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa), talonnés par la nouvelle génération (Sou Fujimoto, Junya Ishigami, Jun Aoki) réinventent, de fait, la ville. Auteurs du Musée du Louvre-Lens, Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa réalisent le Grace Farms Cultural Center, à New Canaan (États-Unis), pavillons de verre gommant allègrement la limite entre intérieur et extérieur. Dans la même veine, Sou Fujimoto imagine, à Tokyo, une habitation entièrement ouverte, la Maison NA, constituée de vingt et une plateformes supportées par de frêles piliers. Mieux, entre archaïsme et poésie, Terunobu Fujimori, lui, perche des maisons de thé dans les arbres. Ainsi la Takasugi-an –« maison de thé trop élevée », en japonais –, à Chino, soutenue par deux « marronniers-porteurs ».
Au Japon, depuis les incendies de l’époque d’Edo (1603-1868) et le séisme de Kantô (1923), deux concepts fondamentaux façonnent la culture : ceux de construction et de destruction. Ainsi en est-il, par exemple, du temple d’Ise, fameux sanctuaire sacré shinto démoli et reconstruit à l’identique tous les vingt ans et ce, depuis le VIIe siècle. En revanche, la conscience d’une identité architecturale nippone n’apparaîtra, elle, qu’au cours des années 1930, à travers les écrits de Bruno Taut (1880-1938), l’un des pères de l’architecture moderne. Ainsi, l’architecte et auteur allemand décèlera-t-il l’étonnante modernité de la Villa Katsura datant du XVIIe siècle. Pas étonnant si, plus tard, la grille géométrique dudit monument inspirera les plans de la Maison A (1953) de Kenzo Tange, à Tokyo. Sa structure moderniste sur pilotis évoque, elle, les préceptes chers à Le Corbusier. Bref, les architectes nippons oscillent entre tradition et influence de l’Occident, la notion d’architecture se construisant en étroite relation avec l’émergence du modernisme occidental.
Il faudra attendre les années 1980-1990 pour qu’une nouvelle génération d’architectes rompe avec cette esthétique technologique et initie, au contraire, une « architecture de la disparition ». En clair : un retour vers des typologies simples, une réduction des formes, une réflexion sur l’espace, les matériaux et la lumière. Les édifices de béton brut à l’esthétique minimaliste de Tadao Ando, telle l’Église de la lumière, à Ibaraki, bénéficient illico d’une reconnaissance planétaire. Kazuo Shinohara, lui, amorce un nouveau vocabulaire pour la maison individuelle, comme avec cette villa, à Tokyo, plantée directement sous une ligne à haute tension, sa forme épousant au millimètre près le périmètre de sécurité autour de ladite ligne électrique. De son côté, Itsuko Hasegawa, elle, invente une Light Architecture, composée de résilles métalliques qui font s’éclipser la structure. Cette « architecture de l’effacement » atteindra son acmé avec le travail de Toyo Ito, qui, à Sendai, conçoit une évanescente médiathèque faite de verre et de transparence, éloge de la disparition.
Dès les années 1950 se forge une nouvelle vision de la ville et du territoire, sous l’influence, donc, de l’architecture moderniste internationale. Celle de Le Corbusier en particulier, chez qui nombre d’architectes nippons feront leurs armes, tels Kunio Mayekawa et Junzô Sakakura, fers de lance du mouvement moderne au Japon. Sur l’archipel, l’émergence de cette nouvelle architecture japonaise est notamment marquée par un usage plastique du béton. En témoignent le centre médical d’Arata Isozaki à Oita, au brutalisme assumé, ou la Sky House de Kiyonori Kikutake, à Tokyo, archétype et chef-d’œuvre de la maison particulière – la sienne. L’emblématique Kenzo Tange, lui, collectionne les commandes depuis l’édification, en 1952 à Hiroshima, du Musée du Mémorial pour la paix, imposant parallélépipède de béton et de verre reposant sur une forêt de pilotis. Une décennie plus tard, en 1964, Tange réalise d’ailleurs l’une des pièces maîtresses des Jeux olympiques de Tokyo : le splendide stade national Yoyogi, véritable icône de cette nouvelle architecture japonaise.
Associée à un urbanisme tentaculaire, la ville japonaise définit de nouveaux modes d’habiter liés à la démographie galopante et à la disponibilité limitée en zones constructibles. Les années 1960 voient ainsi l’émergence d’un mouvement intitulé Métabolisme, prônant un développement urbain dans les airs et sur la mer par l’intermédiaire de mégastructures extensibles selon un processus de croissance organique. Ainsi en est-il de la Nakagin Capsule Tower de Kisho Kurokawa, édifiée à Tokyo, treize étages de petits cubes empilés. Arata Isozaki, lui, imagine des Villes dans les airs, structures horizontales maintenues au-dessus du sol grâce à de hautes tours cylindriques. Kurokawa, encore lui, crée une Ville en hélice constituée d’édifices qui se développent verticalement en adoptant la structure de l’ADN. Masato Ôtaka et Kenzo Tange dessinent, eux, des projets pour la baie de Tokyo. Plus tard, en 1975, Kiyonori Kikutake imaginera une ville « flottante », Marine City, dont les unités d’habitation reposent sur une structure flottante pouvant être déplacée en cas de nécessité.
En 1970, l’Exposition universelle d’Osaka a un retentissement énorme quant à la relance économique du pays. En outre, elle confère une image et une visibilité internationale aux modèles d’anticipation imaginés par une ribambelle d’architectes. Au programme de cet intense développement industriel : de nouvelles formes, de nouveaux matériaux et des innovations technologiques. En témoignent le pavillon Sumitomo de Sachio Ôtani, neuf dômes de forme discoïde en lévitation, la tour Expo de Kiyonori Kikutake, d’une hauteur de 120 m, ou le pavillon gonflable Fuji, signé Yutaka Murata. Ces édifices expérimentaux deviendront les manifestes mondiaux d’une architecture hypertechnologique. En regard de ces constructions amplement médiatisées sourdent moult autres pistes, dont une « Pop Architecture » joyeuse qui octroie à ses auteurs une grande liberté d’expression. Ainsi en est-il de cette église au look « machiniste » de Kijô Rokkaku, sorte de « réacteur » juché sur une colline de Fukuoka, ou de l’amusante et anthropomorphique Maison-visage de Kazumasa Yamashita, à Kyoto. 
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La singularité de l’architecture japonaise
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°707 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : La singularité de l’architecture japonaise