PARIS
Délaissant les artistes reconnus par le marché international, l’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris s’intéresse à la scène artistique d’Iran de 1960 à nos jours. « Unedited History » retrace la difficile histoire de cette création marquée par les soubresauts politiques. Un art de propagande lié au régime religieux a en effet succédé au modernisme et l’effervescence des années du Shah.
PARIS - Qui est né dans les années 1970 ou après n’a le plus souvent vu de l’Iran, peu ou prou, que des images d’actualités évoquant une révolution violente et une théocratie totalitaire, tandis qu’en matière d’art quelques figures et phénomènes de mode ont émergé en Occident – Shirin Neshat, Farhad Moshiri, Shirazeh Houshiary et quelques autres –, souvent portés sur le marché par des prix déconnectés de toute logique voire des phénomènes spéculatifs, à l’instar de ce que l’on a pu observer des artistes chinois ou indiens.
Ces artistes visibles sont absents de « Unedited History », manifestation consacrée à l’art en Iran de 1960 à 2014 par l’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, sur une initiative de Catherine David. On sait cette dernière particulièrement rétive aux mouvements du marché, c’est donc sans surprise que la plupart des artistes de la section de l’exposition consacrée à la production contemporaine de 1989 à nos jours sont pour la plupart des artistes vivant toujours en Iran ou quelques exilés peu connus jusque-là.
De cette sélection, celle qui fut la plus présente en France car elle y avait élu domicile fut Chohreh Feyzdjou (1955-1996), qui bénéficie là d’une remarquable salle consacrée aux dernières années de son travail. S’y entassent au bord de l’asphyxie des châssis de tableaux, des tapis roulés, des flacons divers, soit un travail précédent tout recouvert de noir, comme pour l’annihiler, figer sa temporalité et sa marchandisation possible. En fin de parcours Barbad Golshiri lui a « bâti » une tombe aussi fragile que de la poussière. C’est d’ailleurs là l’une de ses activités : édifier des monuments à ceux qui en ont été privés, pour des raisons politiques le plus souvent. Une politique qui n’est jamais loin lorsque Tahmineh Monzavi, qui s’intéresse aux marginaux et a consacré une série de photos à un travesti de Téhéran, et Mitra Farahani, qui reproduit sur de grands fusains sur toiles des images d’hommes parfois nus tenant leur tête à la main, sont empêchées de quitter l’Iran, toutes deux en attente d’un procès.
Un parcours chronologique lié à l’histoire
Ces propositions font partie d’une histoire mouvementée faite de ruptures et de manques et donc encore à écrire, dont l’exposition présente des fragments en trois chapitres, comme autant de grands moments marqués par de fortes césures.
La première section consacrée aux années 1960-1978 n’est pas la moins surprenante et déroule une histoire méconnue d’un modernisme pictural. Histoire méconnue, car les œuvres, qu’elles soient en mains privées ou propriété d’institutions comme le Musée d’art contemporain de Téhéran, ne circulent pas et pourraient se frotter à la censure des douanes à l’entrée ou à la sortie du pays. Comme pour ce tableau de Bahman Mohassess (1931-2010) qui accueille le visiteur, figurant un corps d’homme nu et contorsionné, au sexe bien visible. Formé à Rome et soutenu par l’impératrice Farah Diba, sa peinture développe un style propre et singulier, parfois mâtiné d’inflexions surréalisantes, à mille lieues d’une appartenance iranienne. Tout comme Behdjat Sadr (1924-2009) s’essaie à une peinture abstraite empreinte de jeux optiques et dénuée de perspective calligraphique.
Une salle dédiée au Festival des arts de Shiraz-Persepolis, qui de 1967 à 1976 a vu défiler les plus grands créateurs du pays rejoints par Merce Cunningham, Robert Wilson ou Stockhausen achève le stupéfiant tableau d’un pays ouvert et artistiquement effervescent. Ce jusqu’à la révolution de 1979 suivie par la guerre Iran-Irak achevée en 1988, soit une décennie qui se voit marquée par un art de propagande produit par des artistes dont certains sont devenus honnis par l’intelligentsia, tels le peintre Kazem Chalipa (né en 1957). Alors qu’affiches et photographies documentaires occupent dans cette section l’essentiel des cimaises, demeure cette question irrésolue de savoir si au cours de cette décennie agitée ne fut produit qu’un art politique et de témoignage ? Peut-être un autre chapitre serait-il à rajouter à cette histoire ?
Jusqu’au 24 août, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75016 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h. Catalogue éd. Paris Musées, 200 p., 39,90 €.
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La scène iranienne inconnue à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Commissariat : Catherine David, Odile Burluraux, Morad Montazami, Narmine Sadeg, Vali Mahlouji
Nombre d’artistes : 27
Nombre d’œuvres : environ 200
Légende photo
Chohreh Feyzdjou, Products of Chohreh Feyzdjou, 1988-1992, techniques mixtes, Centre National des Arts Plastiques, en dépôt au CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux. Courtesy Galerie Patricia Dorfmann, Paris.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°416 du 20 juin 2014, avec le titre suivant : La scène iranienne inconnue à Paris