Causes Toujours ! - La succession des printemps arabes, de #metoo et des Gilets jaunes souligne à quel point l’avènement du web social autour de 2007 a rebattu en profondeur les cartes de l’action politique.
Nés sur les réseaux sociaux avant de se décliner IRL, dans la rue, le monde du travail ou l’espace domestique, ces divers mouvements suggèrent que c’est bien dans les médiations technologiques que se noue désormais notre rapport à l’engagement. De quoi inspirer au Maif Social Club (Paris) une exposition, « Causes toujours ! Du hashtag à la rue », dont le commissariat a été confié à Usbek & Rica, « le média qui explore le futur », et Le Coup d’Avance, label de conception et de production parisien. Son objet ? Déterminer « comment le web a changé la formation et l’expression de l’engagement », explique Laura Encinas, co-commissaire de l’événement. Dans une scénographie signée 5.5 et constituée d’un agencement de grilles matricielles, « Causes toujours ! » associe experts et artistes autour de six thématiques flanquées des hashtags de rigueur, et décline les principaux registres du militantisme 2.0. La plupart des œuvres présentées ne réfèrent pas explicitement à la thématique de l’exposition, mais éclairent les stratégies mises en œuvre pour mobiliser les foules numériques. « Toute œuvre d’art a la capacité de se distancier de la référence première du réel pour le requalifier autrement, explique Myriam Revault d’Allonnes dans l’un des cartels. On peut en ce sens parler d’une “vérité” de la fiction. »Cette vérité prend au Maif Social Club des accents contradictoires, en dévoilant l’apport des mobilisations sur le web social, mais aussi leurs perversions et leurs limites. C’est le cas de La Mécanique d’évaporation des rêves de Véronique Béland, présentée dans la section #pérennité : écrits sur un rouleau de papier par un générateur de textes aléatoires, des rêves aux accents poétiques s’y effacent au contact de la lumière. Le texte de Bernard Stiegler qui accompagne l’œuvre invite à y voir une métaphore de flux numériques caractérisés, selon le philosophe, par « l’hyper-éphémère » et la succession vertigineuse des indignations et des mots d’ordre. Faire émerger une cause dans un flux continu et pléthorique d’informations, inscrire les mobilisations dans l’économie de l’attention, suppose alors le recours à diverses tactiques plus ou moins manipulatoires. Fake news et règne de la « post-vérité » qui subordonnent les faits à l’émotion, buzz et astroturfing, soit la simulation d’un mouvement de foule pour influencer l’opinion, lynchage et harcèlement en ligne sous couvert d’anonymat… : « Causes toujours ! » suggère combien la « désintermédiation de l’information », selon l’expression de Primavera De Filippi, a basculé de la promesse d’horizontalité à la manipulation de masse. Le Portrait de Louis XIV.jpeg de Bertrand Planes le suggère à sa façon : confiée à un atelier de peinture chinois, sa réalisation doit tout à une collecte de données en ligne (images, format pris à Wikipédia, etc.) qui en explique le caractère imparfait, voire « glitché ». Jusque dans ses anglicismes omniprésents, l’exposition distille ainsi l’impression que l’engagement 2.0 est surdéterminé par les technologies dans lesquelles il se forme. À mots couverts, elle suggère que l’action politique décisive se joue ailleurs : dans le territoire, sur les places, les zones à défendre, les ronds-points, bref dans le monde sensible auquel les médiations numériques ont donné congé, et dont Rero s’emploie à restituer la matérialité dans un coin du Maif Social Club, en présentant les déchets générés par la réalisation de l’exposition.
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La révolution ne se fera pas sur Facebook
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°728 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : La révolution ne se fera pas sur Facebook