Six cents kilomètres de route, depuis Le Caire, à travers le désert. Loin, très loin, aux confins de l’Égypte et de la Libye, voici qu’apparaît, au débouché d’un paysage lunaire, une oasis de liberté. Sioua, lovée à vingt mètres au-dessous du niveau de la mer, alterne immenses palmeraies et oliveraies avec de grands lacs salés. Immémoriale enclave berbère, Sioua a vu passer, tour à tour, les Numides et les Égyptiens, les Perses et les Grecs, les Romains et les Arabes, et même, plus récemment, les Italiens et les Anglais… sans jamais être réellement occupée ni défigurée.
Demeurent à Sioua trois souvenirs majeurs. Celui de l’oracle que l’on venait consulter depuis le monde connu dans son ensemble ; celui d’Alexandre le Grand qui vint, justement, consulter l’oracle et dont une égyptologue grecque pense avoir retrouvé ici, à l’ombre de la « montagne des morts », le fameux mausolée introuvable ; celui de Cléopâtre enfin qui venait prendre des bains dans l’une des deux cents sources d’eau froide et chaude – qui conserve son nom – aux profondeurs bleu saphir ou vert émeraude ponctuant l’oasis.
Plus de vingt-cinq siècles d’existence et de silence et des traditions berbères uniques soigneusement préservées. Et puis l’oubli, jusqu’à ce que Mounir Neamatalla, Cairote et conseil en environnement, redécouvre Sioua et décide de lui redonner vie tout en continuant à la préserver.
Il investit alors la « montagne blanche », un gigantesque rocher de sel perdu dans cette mer de sable blond et ocre, et y édifie, avec les artisans locaux et en utilisant les matériaux du cru (roches de sel, pisé, bois de palmiers et d’oliviers, cordes…) une série de petites maisons à la fois rugueuses et primitives, raffinées et élégantes qu’il transforme en lodges très exclusifs. Une réussite dans le registre architecture sans architecte et le point de départ d’une revitalisation de Sioua qui va prendre bien des chemins.
« Construire avec le peuple »
Deuxième étape, Mounir Neamatalla fait appel à l’architecte et designeuse irano-parisienne India Mahdavi pour lui édifier sur l’autre versant de la « montagne blanche » sa propre maison, dans le même esprit que ce qui a déjà été fait. Rigueur et sensualité, confort et élégance, structure et couleur, fiction et réalisme qualifient au plus près le travail de l’architecte dont on connaît déjà quelques lieux emblématiques tels le bar - night-club Apt à New York, l’hôtel Town House à Miami Beach ou encore l’hôtel Casa Condessa à Mexico. La rencontre entre Mounir et India va donner naissance à une étrange combinaison empirique mélangeant architecture et non-architecture. Pour saluer la rencontre et son résultat, Mounir Neamatalla, qui a déjà relancé l’activité locale en direction du vêtement (tissages berbères…), des objets (bois, cordes, verre…), des produits culinaires (olives, dattes…) et du bien-être (sources, sel, huile de palme…), décide d’organiser un festival d’art contemporain. Première édition à la fin de l’année 2003 avec deux cents cerfs-volants, peints sur place par l’artiste chinois Cai Guo-Qiang avec l’aide des enfants de Sioua, et qui se sont envolés dans le ciel portés par le vent du désert, sous les yeux émerveillés, entre autres, de Richard Long, Olafur Eliasson et Norman Foster. Un festival d’art contemporain appelé à se renouveler chaque année et que viendra doubler, certainement, un festival de musique.
À Sioua, avec l’aide d’India Mahdavi, Mounir Neamatalla fait aboutir le projet amorcé par le grand architecte égyptien Hassan Fahty qui voulait « construire avec le peuple » et faire entrer la plus antique tradition en pleine modernité.
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La montagne de sel
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°191 du 16 avril 2004, avec le titre suivant : La montagne de sel