Art contemporain

La liberté de l’artiste, autre héritage du surréalisme

Par Amélie Adamo · L'ŒIL

Le 12 mai 2020 - 913 mots

On ne retrouve pas seulement des traces du surréalisme dans la peinture ou le dessin, mais aussi dans le collage, l’animation, les objets…

Pluridisciplinaires et transversaux, la poétique et l’esprit surréalistes ont bien évidemment ouvert des voies autres que l’écriture et la peinture. Photographie, cinéma, animation, performance, objet, installation : autant de veines d’expression dans lesquelles on retrouvera des problématiques partagées avec les poètes et les peintres, comme l’esthétique subversive du collage, la poésie du montage, la pratique de l’automatisme et la résistance aux valeurs imposées par la société. Ayant découvert le surréalisme à travers l’œuvre de Magritte et, plus tard, celle de Man Ray, Benoît Maire développe un travail pluridisciplinaire dont l’aspect surréaliste est lié à une pratique du collage. « Pour qu’un collage soit intéressant, il faut souvent qu’il soit surréaliste d’une certaine façon, c’est-à-dire qu’il associe des éléments hétérogènes, venant de champs divers : il s’agit de prendre deux références issues de deux mondes distincts pour en créer un troisième, celui défini par l’œuvre, qu’il appartient à l’artiste de suggérer et au spectateur de concevoir. » Ces questionnements, qui fondent le travail de Benoît Maire, ont été thématisés sous le concept de « fabrication du cyclope », particulièrement dans la pièce BM1 (Esthétique des différends, point 5, détail “La fabrique du cyclope”, 2008). Cette image trouvée, associée à un Plexiglas, renvoie de manière très directe à cette conception du collage comme fabrication d’un troisième œil : « Le surréalisme, pour moi, c’est un troisième œil qui serait branché très directement sur l’inconscient ! »

Lorsqu’on l’interroge sur ses liens au surréalisme et sur les travaux qui l’ont touchée, Fiammetta Horvat évoque l’histoire de l’art de l’animation, forme d’expression qui l’intéresse particulièrement et demeure à ses yeux un « terrain de liberté totale », avec, entre autres, Švankmajer, Louri Norstein, Nina Gantz, Anna Mantzaris, Topor, Jan Lenica, les frères Quay. Ce qui unit ces créateurs à l’esprit surréaliste ? Le jeu du montage et de l’assemblage des dissonances, la déconstruction du rationnel et de la logique, l’onirisme et l’improvisation, l’exploration de l’inconscient et des instincts humains… Autant d’éléments qu’interroge Fiammetta Horvat, dont le travail d’animation évoque la maternité et la transformation du corps, dans ce qu’elle a de « monstrueux » ou de « sacré ». « Ce que traversent les femmes reste souvent rangé dans des compartiments restreints, l’intimité de la femme “fertile” est encore intouchable en société. » L’animation et le collage sont pour elle une façon d’apprivoiser un « sujet qui embarrasse ».

La liberté insufflée par les surréalistes

Le premier choc esthétique de Geoffrey Badel ? La découverte de Dalí, à l’époque où il est étudiant aux Beaux-Arts. S’il trouve des affinités entre le surréalisme et sa propre pratique, cela est intimement lié à son histoire personnelle. Pratiquant dès l’enfance la langue des signes, l’artiste est très tôt initié à une perception du monde autre que celle imposée par la norme et les conventions. Dès l’adolescence, il s’exerce également à la magie, monde ouvert sur l’illusion, le jeu des sens, le détournement des fonctions premières d’un objet. Cette histoire personnelle est aux fondements de sa démarche et de la façon dont le surréalisme peut graviter autour d’elle.

Photo, vidéo, performance ou dessin, la pratique pluridisciplinaire de Geoffrey Badel peut faire écho à l’esprit surréaliste par certains aspects : le rapport à l’occulte, les esthétiques « cryptées », la déformation de la réalité, la révélation de l’inconscient, le bouleversement des sens. « Le surréalisme est un moyen de faire dévier le regard sur le monde intérieur et extérieur. Si mon travail entretient une relation avec lui aujourd’hui, c’est grâce à son caractère politique : il me permet de confronter notre perception de la réalité au-delà des normes d’une pensée globale, colonisatrice et oppressive. »

Enfant, Ghyslain Bertholon découvre le surréalisme à travers l’œuvre de Dalí, qui lui faisait peur ! Mais c’est seulement durant ses études aux Beaux-Arts qu’il aborde réellement ce mouvement à travers Breton, Aragon et Duchamp. « Si je me sens assez éloigné des pratiques surréalistes dans mes pratiques artistiques quotidiennes, il me semble tout de même jouir, en tant qu’artiste, d’une part de cette liberté insufflée par les surréalistes à leur époque. Pour reprendre les mots de Duchamp, je dirais qu’il n’y a pas de forme surréaliste, il y a un esprit surréaliste. À ce titre, c’est la pluridisciplinarité, le côté transversal et indubitablement politique du surréalisme que je retiendrais. » Ses peintures et sculptures donnent ainsi forme à une poésie libre, énigmatique et érotique.

Un des premiers souvenirs liés à l’art de Lidia Kostanek : la découverte de Jérôme Bosch dans la bibliothèque de son père. Corps démembrés, monstres hybrides et paysages fantastiques, à la fois fascinants et effrayants. Pour l’artiste, le surréalisme est « un réalisme imaginaire » qui altère, hybride, déplace des éléments du monde réel. C’est aussi « une façon de penser, où l’inconscience nous guide dans un voyage sans barrières qui transgresse et déplace des “vérités” ». Dans sa relation au corps et au genre, son travail relève d’une parenté avec l’esprit surréaliste, particulièrement dans son rapport à l’hybridation et au morcellement. « J’aime tordre le réel pour superposer dans le même espace des objets qui semblent être étrangers en première apparence, cela ouvre à de nouveaux sens et à de nouvelles questions. » D’esprit surréaliste, les sculptures de Lidia Kostanek sont hybrides et débridées, entre figure humaine et objet, à la fois sensuelles, troublantes et politiques. Leviers de résistance et d’émancipation, qui furent le propre de la révolution surréaliste, ses sculptures trouvent une résonance dans le monde actuel, particulièrement dans son interrogation de la condition féminine.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°734 du 1 mai 2020, avec le titre suivant : La liberté de l’artiste, autre héritage du surréalisme

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